Tous les regards se tournent vers Doja Cat
Tous les regards se tournent vers Doja Cat, que l’artiste auréolée d’un Grammy soit sur scène ou en front row.
Photographie de Greg Lotus
Stylisé par Brett Alan Nelson
En janvier, Doja Cat faisait le front row du show couture Schiaparelli printemps 2023 couverte – de la tête aux pieds – de dizaines de milliers de cristaux rouges à même la peau. Pour un résultat envoûtant. Impossible de ne pas la regarder, bien qu’elle ait été assise près de la légendaire Marisa Berenson (petite-fille d’Elsa Schiaparelli) et non loin de Kylie Jenner, qui arborait sur sa robe une très ressemblante tête de lion.
En un instant, Doja Cat s’est métamorphosée de simple chanteuse pop en authentique superstar de la mode. Deux jours plus tard, elle affichait au défilé Viktor & Rolf un “maquillage” peu conventionnel fait de faux-cils disposés en sourcils, moustache et barbichette.
Doja, née Amala Ratna Zandile Dlamini, fait des vagues depuis 2018, avec sa chanson-gag Mooo!,le tube Say So en 2020 et son album effervescent Planet Her, incontournable en 2021. La chanteuse a amassé 16 nominations aux Grammy, dont un trophée du meilleur duo ou groupe pop remporté pour Kiss Me More avec SZA.
À 27 ans seulement, il semble qu’elle a déjà endossé plus de personnalités que Madonna. Qu’elle s’habille en alien cristallin, qu’elle écrive une chanson pour la bande-son de l’Elvis de Baz Luhrmann ou qu’elle se rase la tête, il est évident qu’elle refuse de se laisser enfermer, ou son art, dans des cases. C’est au contraire un pur esprit créatif qui n’a pas peur de se montrer telle qu’elle est. Elle est prête à tout essayer.
L’Officiel la retrouve par Zoom dans sa maison californienne, où de hautes baies vitrées ouvrent sur un paysage desséché. Elle porte une perruque à la Uma Thurman dans Pulp Fiction, sirote à la paille un breuvage transparent, et est en train de peindre. Notre conversation sur l’art et la créativité embrasse de nombreux sujets, depuis les costumes de Quand Harry rencontre Sally, le perfectionnisme ou Frank Lloyd Wright jusqu’à la question de savoir s’il est ringard de discuter d’astrologie.
Doja Cat : Vous voulez me voir ?
Marisa Meltzer : Oui, j’adorerais, si je peux dire ça sans avoir l’air trop flippante.
DC : [Allume la caméra.] Je suis en train de peindre, j’ai un studio ici en haut. J’ai peint un œuf, un vrai cauchemar.
MM : Ça me rappelle Leonora Carrington. Vous connaissez son œuvre ? C’était une des rares femmes parmi les surréalistes. Où trouvez-vous votre inspiration ?
DC : Je ne crois pas que j’aie de préférence. J’aime Dalí. C’est plus ou moins le premier dont j’ai su le nom. Et puis il y en a quelques-uns sur Instagram. Il y a un type, son nom complet, ses trois noms sont des prénoms – Parker Steven Jackson. Il est vraiment génial ; il a fait des trucs pour Nope, le film de Jordan Peel. Les petits aliens, c’est de lui.
MM : Vous envisageriez d’exposer votre art en galerie ?
DC : Il faudrait d’abord que je me prouve que je le mérite. Je ne sais pas si j’ai le niveau suffisant pour ça. Il y a des gens, ils font une petite éclaboussure de peinture sur une toile et ça peut se vendre jusqu’à 100 000 dollars.
MM : Comment saurez-vous si vous avez le niveau ? Comment avez-vous su que votre musique méritait d’être écoutée ?
DC : Eh bien, je l’ai partagée sur SoundCloud et Facebook, j’avais vraiment besoin de retours. J’ai eu deux likes, et ça m’a suffi… parce que j’adore ce que je fais.
MM : Vous êtes perfectionniste ? Vous vous jugez durement ?
DC : Oui, ça peut m’arriver. Je ne sais pas. C’est sûr que parfois je suis impitoyable avec moi-même. Il y a des jours comme ça.
"Je suis prête à sacrifier mon confort, je ferai n'importe quoi pour ce fantasme que j'ai dans la tête."
MM : Est-ce que la mode et la façon dont vous vous maquillez, ou vous habillez, représentent un acte créatif pour vous ?
DC : C’est sûr que je suis partante pour sacrifier mon confort ; je ferais n’importe quoi pour réaliser la fantaisie que j’ai en tête. Oui, je pense que dans le privé j’aime beaucoup chercher la limite entre être dans le confort et faire de ce que je porte quelque chose d’excitant. C’est un peu un jeu pour moi.
MM : Il y a quelqu’un en particulier qui vous fait vibrer ?
DC : Vous savez qui j’adore ? La designer Charlotte Knowles, qui a conçu la robe que je portais aux Grammys cette année. En cuir brun, à l’aspect très usé, très cow-boy, ce genre de vibe. Ça, j’adore.
MM : Dites-moi comment est né ce look Schiaparelli. C’était beau à faire peur.
DC : Brett Alan Nelson, mon styliste, et moi voulions frapper un grand coup pour la fashion week. J’adore Schiaparelli, alors chaque fois que Brett le suggère, je suis à fond. Mais là il m’a dit “Schiaparelli veut faire quelque chose avec toi” ; il n’avait même pas fini sa phrase que j’avais déjà dit oui. Alors il y a des esquisses, et tout ce qu’il m’envoie, j’adore. Je tombe amoureuse. Je vais à Paris, je vais voir quelques défilés avant Schiaparelli. Tout se passe super bien, tranquille, fun, j’adore. Je n’avais pas capté qu’il faudrait que je me lève à 4 heures, le matin du show, pour être là-bas à 5 heures. Alors bon, on y va, et c’est quand je me suis assise dans le fauteuil que je me suis rendu compte que j’avais une gastro. J’étais tombée super malade.
MM : Oh non !
DC : Et je suis assise là, et je sens comme des coups de couteau. En plus toute l’équipe était super gentille. Tout le squad beauté a été si compréhensif, si sensible, si prévenant. C’était super, vraiment très pro. J’essayais de blaguer et de minimiser la situation, mais avec le temps ça empirait. J’avais l’impression d’avoir une lame tournant à 200 à l’heure dans le ventre. Je n’ai jamais eu aussi mal – l’un des plus beaux jours de ma vie, en plus ! Alors c’était très émotionnel et plein de feelings de dingue. Pat [McGrath] a été tellement gentille. Elle n’arrêtait pas de me filer du ginger ale et plein de trucs pour calmer mon estomac.
MM : Et ils ont fait comment ? En trempant les cristaux dans un peu de colle et en les appliquant sur vous un à un à la pince à épiler ?
DC : Alors j’étais assise les bras étendus, en culotte, avec un bandeau en haut. Ils ont d’abord passé une couche de peinture rouge, ils m’en ont couverte, et puis une couche de colle, et après je crois qu’ils ont saupoudré un peu de glitter par-dessus. Et puis les cristaux. Et j’avais une, deux, trois, quatre personnes à s’occuper de moi, tout autour, chacun penché sur son bout de corps.
MM : Ça valait le coup, non ?
DC : Mais oui, absolument. J’en suis très, très fière.
MM : Qu’aimeriez-vous faire d’autre ? Ça vous dirait de dessiner des vêtements ?
DC : Ça me dirait probablement. J’ai déjà 27 ans. Et je suis sûre qu’il y a des gens qui viennent tardivement à la mode, mais je n’ai aucune expérience dans ce domaine, alors je ne sais pas. Mais je sais qu’il y a des choses que j’ai envie de voir dans la mode. Alors peut-être que si j’avais une équipe de talents qui pouvait m’aider à matérialiser ces idées, peut-être que ça m’intéresserait. Mais ça a l’air tellement laborieux. Je peins, c’est super facile de tremper son pinceau dans la peinture et de la flanquer sur la toile.
MM : Je ne sais pas ; je me dis, 27 ans ? Il vous reste tellement de temps pour apprendre le stylisme si c’est ce dont vous avez envie. Mais aussi, la fin de la vingtaine est une période intéressante, avec le retour de Saturne.
DC : Je ne savais même pas que Saturne était revenu jusqu’à il y a trois ou quatre jours. Ma mère est à fond dans l’astrologie, et moi j’en dis du mal jusqu’à ce que je sois en crise et que j’aie besoin de réponses. Alors j’ai trouvé que c’était intéressant, cette histoire de Saturne, parce que je l’ai vraiment senti passer. J’ai toujours l’impression de ce cliché, la fille qu’on rencontre en boîte qui dit “Oh mon dieu, c’est quoi ton signe ? T’as vraiment une énergie Gémeaux”, ce genre de vibe. C’est vraiment pas le type de gens que je préfère. Ils m’énervent. Et j’ai littéralement des amis comme ça, que je tolère juste. Je ne peux pas faire entièrement confiance à ces gens-là. Je ne peux pas. Je ne peux pas.
MM : Oui, l’astrologie est devenue bizarre, avec tous les mèmes qu’on en tire, et les comptes TikTok ou Instagram qui s’y consacrent. Ça fait beaucoup. Vous aviez des héros dans la mode, en grandissant ou maintenant, ou des figures d’avant votre naissance ?
DC : Je dirais que mon héros fashion est probablement mon ex. Je l’ai rencontré il y a à peu près deux ans, et il m’a appris plein de choses différentes, comme la déco d’intérieur, il m’a parlé de légendes comme Frank Lloyd Wright. Il avait des goûts très adultes, très sophistiqués. À l’opposé de ce que j’étais quand on s’est connus. Et ce que j’adorais aussi, c’est qu’il avait l’air très en paix avec lui-même, très bien dans sa peau. Ce n’était pas mon cas, et ça m’a inspirée. Et quand vous parlez de héros, j’ai l’impression que dans le domaine de la mode c’est ce qu’il a été pour moi. Je trouve que je m’habille de manière bien plus raffinée maintenant. Et je n’ai pas peur de m’habiller simplement, parce que j’ai été affligée de la malédiction du look parfait. Ça peut devenir stressant. C’est sympa de juste sortir et de se dire qu’on est bien habillée sans avoir le sentiment d’en faire trop.
"J'aime vraiment la simplicité parce que je lutte tellement avec elle. C'est quelque chose qui me semble étranger."
MM : Quand on s’attend à être pris en photo à tout instant, une certaine vulnérabilité entre en jeu, j’imagine, à l’idée de s’habiller normalement et d’être soi-même. Pensez-vous à vos différents looks comme à des phases de votre carrière, un peu comme Madonna ?
DC : Je passe par différentes phases, c’est sûr. En tout cas, je pense que mon humeur change avec les saisons. Au printemps ou en été, j’aime porter beaucoup moins de vêtements, des choses très pop, très brillantes, qui sont au cœur de l’esprit de la saison. J’aime les couleurs vives et tout ça. Je porte des sequins et du lamé, et je m’habille comme… comment elle s’appelle, dans La Revanche d’une blonde ?
MM : Elle Woods.
DC : Je m’habille carrément comme dans La Revanche d’une blonde. Et à l’automne et en hiver, j’aime vraiment les tons sombres. Et maintenant je m’habille comme une pirate. C’est mon truc. J’ai acheté un chapeau de pirate sur Amazon, et puis en fait je ne le porte pas parce que ça a l’air trop bête. [Elle va chercher le chapeau et se le met sur la tête.]
MM : Je ne sais pas ; sur vous c’est cool.
DC : C’est steampunk à en crever. Je voudrais juste trouver l’équilibre entre… j’aime l’histoire et j’aime les vêtements historiques.
MM : En matière de style, des choses intéressantes peuvent se produire quand on s’autorise des choses qui nous effraient, ou qu’on trouve trop décalées ou qui font trop déguisement. Soyez la pirate.
DC : J’aime vraiment la simplicité parce que c’est un combat, pour moi. Ça me paraît complètement étranger, c’est pour ça que ça m’intimide de m’attaquer au look simple. Vous voulez que je vous dise un truc ? Angelina Jolie et Meg Ryan, sont mes… Leurs looks m’obsèdent. Dans leur ensemble. Rien qu’Angelina en chemise noire à manches longues avec un jean, des bottes et des solaires. On dirait qu’elle vient de se réveiller et rien d’autre. Et elle a une allure incroyable. C’est quelque chose qui m’émeut. Et aussi Meg Ryan, à l’époque où elle portait ce manteau géant. Elle portait ces gros manteaux avec des épaulettes et des chapeaux, et elle n’avait même pas l’air de faire exprès. On aurait dit que c’était sa personnalité, et ça collait parfaitement. Quand Harry rencontre Sally : toutes les tenues de cette époque-là, j’adorais ça. C’était l’un de mes films favoris. Je fais beaucoup référence à Meg et à Angelina quand je suis avec mon équipe beauté et qu’on discute de mode et tout ça.
MM : Ces looks nous parlent parce qu’un grand nombre d’entre eux étaient composés des propres vêtements des actrices. Elles n’avaient pas de stylistes. Elles allaient même aux premières avec leurs habits.
DC : C’est toujours chouette d’être outré, dingue et fun, mais rien ne vaut une tenue casual qui donne le look de la mort. Rien ne vaut le fait d’avoir meilleure allure que tout le monde autour de soi en donnant l’impression de ne pas l’avoir fait exprès.
MM : Et c’est aussi ça qui vous permet de ne pas dépasser les bornes, de ne pas être qu’un personnage ? D’avoir ces instants qui sont comme de se jeter à l’eau, plus naturels, plus bruts ?
DC : Il faut se ménager des moments plus en sourdine pour que les plus éclatants soient vraiment efficaces.
"Je suis une personne qui n'existera plus... donc quoi que je fasse, ce sera original."
MM : On a besoin de crêtes et de creux. Vous travaillez sur de nouveaux morceaux ?
DC : Oui. Lentement mais sûrement. J’ai probablement une dizaine ou une douzaine de chansons.
MM : Écoutez-vous la musique lorsque vous composez ?
DC : Oui, j’écoute beaucoup de musique, mais dans un genre qui n’est pas le mien. De la house japonaise. Dead Can Dance. Drop Nineteens. J’écoutais beaucoup de Cocteau Twins.
MM : Vraiment des genres éloignés de la musique que vous faites ; vont-ils l’influencer ? Vos morceaux vont-ils sonner différemment ?
DC : Non, pas du tout, ce qui est très intéressant, parce que je pense que je ne suis influencée que par la musique que j’écoutais en grandissant. Et ce n’était pas les Cocteau Twins. Mais d’écouter ce genre de musique, ça crée définitivement un espace où mon esprit peut se reposer. J’évite d’écouter du rap. Je n’écoute personne parce que je ressens très fortement ces influences. Ce n’est pas non plus que je m’isole, mais je dois faire attention parce que parfois je me retrouve à émuler ces musiciens que j’aime tant. Alors que j’essaie d’être originale.
MM : Pourtant votre idée d’émulation pourrait être si originale.
DC : Non, et c’est ça qui est beau. Et c’est ce que je recherche. La personne que je suis n’existera plus jamais. Il n’y a pas plus d’une personne comme moi. Donc quoi que je fasse ce sera original.
MAQUILLAGE Laurel Charleston
MANUCURE Saccia Livingston
PRODUCTIONDanièle Carettoni
RETOUCHE Lara Chrome
ASSISTANTS STYLISTES Kristen Richie, LJ Perez, Tumas Zarskus et Malia Rusher
ASSISTANT MAQUILLAGE Edwin Monzon
ASSISTANTE DE PRODUCTION Daniela Colton