La mode à l’heure du digital
Par Alice Pfeiffer
Photographe Nicolas Polli
Les hiérarchies tombent
Si les fantasmes de mode dans l’imaginaire collectif restent cristallisés par Sex and the City (la série pas le film, attention !), Zoolander ou Le diable s’habille en Prada, cela fait une décennie que quelques personnalités devenues iconiques ont fait bouger les choses et chamboulé à tout jamais les clichés, rituels et pratiques du milieu. Adieu grandes divas et accès au compte-gouttes aux défilés. “Il y a près de dix ans, quelques entrepreneurs du web comme Diane Pernet, l’ancêtre des blogueuses, ont voulu démocratiser la diffusion d’images des shows cloisonnés. Les marques 140se sont toutes dit la même chose : Mais qu’est ce que ce qu’on fait de ces ‘internet people’ ? Ça va durer combien de temps cette lubie ?” se souvient Zowie Broach, directrice de la mode au Royal College of Art de Londres.
Inutile de dire que cette folie pensée passagère a poussé telle une herbe folle. L’Anglaise Susie Lau, dont le blog Style Bubble a un ton ludique et excentrique, se voit offrir la direction du site du magazine Dazed & Confused, alors qu’elle n’a que 24 ans. Géraldine Dormoy, fondatrice de Café Mode, blog proche de la Française moyenne, est invitée à développer la plateforme en ligne de L’Express Styles. “Il y a eu un passage du statut d’amateurs extérieurs à celui de professionnels pour ces nouvelles figures”, ajoute Zowie Broach.
Une expérience en ligne singulière
Vers une nouvelle utopie
Tout serait donc bon dans le e-cochon ? En grande partie, la culture digitale a tout l’air d’une victoire de David contre Goliath, ou plutôt d’un heureux mariage entre géant et fourmi : entreprenariat libéré de loyers, fusionnement des cultures, caisses de résonance offertes à des voix singulières… Oui mais pas uniquement.
La consommation de mode suit aujourd’hui le rythme de notre consommation d’images : on absorbe et on poste à longueur de journée, on se lasse donc aussi vite qu’on like. Les collections qui arrivent en boutique six mois après leur apparition sur les podiums, et donc les réseaux sociaux, sont déjà enterrées dans l’imaginaire des clients – poussant les marques à adopter le rythme des marques fast-fashion. Désormais, le luxe a deux saisons principales mais aussi, en guise de réassort, des collections croisière et pre-fall, ainsi que les dernières-nées high summer (quand on a plus rien a se mettre en plein mois d’août) et holiday (à la période des fêtes de fin d’années).
Après tout ces bouleversements, il est peu étonnant qu’en parallèle de la montée en puissance des réseaux sociaux, notre culture soit, paradoxalement, attirée par un retour à l’artisanat et à la main humaine. Ça sera le mariage de ces deux forces a priori opposées qui nous offrira une nouvelle utopie.