Rencontre avec le duo de Proenza Schouler
Photographie par Jules Faure
Vous avez défilé à Pendant la semaine de la haute couture. Vetements a lancé le mouvement en juillet 2016, invitée comme vous par la Fédération de la haute couture et de la mode. Pourquoi Paris ? Pourquoi maintenant ?
Lazaro Hernandez : Paris est le centre mondial de la mode ! Je pense que tous les designers débutants rêvent de défiler un jour à Paris. Nous avons passé beaucoup de temps ici ces deux dernières années pour développer notre premier parfum avec L’Oréal. La ville nous a beaucoup inspirés. Nous avons aussi réfléchi à notre stratégie, à fusionner nos précollections avec nos collections pour ne plus organiser que deux défilés par an, en janvier et en juillet, au moment clef des ventes des précollections féminines. Nous avons décidé de tenter notre chance ici pendant la semaine de la haute couture et la fédération nous a invités de façon officielle.
Comment trouvez-vous l’ambiance ?
Jack McCollough : Il suffit de franchir le pas de la porte de l’hôtel pour que l’immersion soit totale ; nous aimons nous balader, lever les yeux et observer l’architecture qui baigne dans l’histoire. À New York, tout est plus industriel, brut, l’esthétique est fondamentalement différente et ce contraste nous inspire beaucoup. Notre studio est à New York, nos vies sont là-bas, nos références y sont très centrées, et c’est bien de créer des ponts entre les villes.
On parle beaucoup du mythe, du cliché de la Parisienne. Elle ressemble à quoi, vue par deux Américains ?
Jack : Tout notre travail consiste à déconstruire les clichés, les idées reçues… Nous cherchons à nous éloigner des normes et des carcans d’une manière générale. Nous vivons dans un monde globalisé, très international. Dans toutes les villes dans lesquelles nous voyageons, les femmes sont un mélange d’influences. C’est dur de classer la Parisienne, il y a tellement d’apports variés, de croisements, de pollinisations. Je n’ai pas envie de séparer les femmes géographiquement parlant.
Lorenzo : Nous n’avons pas vraiment prêté attention à ce cliché… Nous sommes d’une génération borderless, sans frontières.
Jack : Il y a juste l’accent qui change tout…
Lorenzo : Je pense que cela signifiait quelque chose pour la génération de nos parents mais pas pour la nôtre.
C’est à Paris que les plus grands défilent. Pensez-vous que vous allez être désormais regardés différemment à New York ?
Lorenzo : L’avenir le dira… C’est vrai qu’ici les plus grands défilent, mais nous ne cherchons pas à changer quelque chose, nous voulons simplement nous mettre au défi. Voilà plus de dix ans que nous défilons à New York, tous les six mois, à chaque saison. Cela devient répétitif, nous cherchons un peu de défi, faire quelque chose de nouveau, présenter la marque à un autre public, et aussi à la presse européenne qui ne vient pas à New York.
Allez-vous continuer de défiler ici ou allez-vous repartir pour New York ?
Lorenzo : En janvier, nous défilerons à Paris, ensuite nous verrons bien.
Comment avez-vous conçu votre collection printemps-été 2018, qui fait la part belle aux matières et aux savoir-faire ?
Jack : Durant notre temps libre à Paris, ces derniers mois, nous avons fait beaucoup de recherches et nous avons trouvé tous ces fantastiques petits ateliers indépendants, spécialisés dans la broderie, la plumasserie et des tisserands qui travaillent encore avec des métiers du xviiie siècle. Nous avons également collaboré avec la maison Lesage. C’est vraiment ce qui nous a inspirés : explorer ces techniques, ce savoir-faire très français, très artisanal, et les retranscrire dans notre propre langage.
Vous avez l’habitude de dire que chaque collection est comme un journal intime, un miroir de ce que vous êtes en train de vivre. Depuis quinze ans, vous écrivez votre autobiographie ?
Lorenzo : C’est vrai ! Nos collections sont toujours en partie autobiographiques, elles représentent ce que nous ressentons et vivons à un moment donné. On peut se projeter dans le passé et savoir où nous étions à telle époque. Notre collection printemps-été 2018 est une réflexion sur ce que la mode française représente pour nous : raffinement, sophistication, amour de l’artisanat. Nous défendons un certain idéal de beauté, sans nous préoccuper des tendances.
Que pensez-vous de nos vies actuelles où tout va de plus en plus vite, où on se lasse de tout de plus en plus tôt ?
Jack : L’information est constante, l’immédiateté est une donnée de nos sociétés. On veut toujours du neuf. Nous partageons notre temps entre Manhattan pour les affaires, Brooklyn où nous résidons et la campagne du Massachusetts où nous avons une ferme. Nous essayons de couper avec la grande ville, le stress, la pression. Nous rêvons de ralentir le rythme, mais c’est impossible. Mieux vaut être réaliste.