@DocteurBeauty and Mister Marco : rencontre avec le chirurgien phénomène d'Instagram
Plébiscité par de nombreuses stars des réseaux sociaux, Oren Marco initie l’ère du chirurgien-influenceur une photo Instagram après l’autre. Entre deux consultations et une opération à poitrine ouverte, L'Officiel est parti à sa rencontre.
C’est un secret de polichinelle au sein du microcosme journalistique qui a eu l’occasion de s’y frotter: les chirurgiens esthétiques sont d’ordinaire ce qu’il convient d’appeler de bons clients.
Des interlocuteurs jamais avares d’anecdotes extravagantes, de name-dropping quant aux membres du gratin passés sous leurs bistouris, voire de coups sous la ceinture assassins envers leurs concurrents. Affable mais néanmoins réservé, celui que les utilisateurs d’Instagram connaissent sous le nom de Docteur Beauty a tout de l’exception qui confirme la règle.
Près de de 50 000 fidèles suivent ses moindres faits et gestes sur son profil Instagram dédié, où ce chirurgien esthétique révèle les nombreuses facettes de son quotidien: entre deux fous rires au bloc opératoire, il invite volontiers à découvrir ses voyages au bout du monde dans des destinations paradisiaques, ses séances de sport aux côtés d’un coach privé ou encore les repas pantagruéliques qu’il partage avec ses amis autour des meilleures tables de la planète.
1493 publications de contenu léché qui tranchent nettement avec les avant-après austères éclairés au néon auxquels nous avaient jusqu’ici habitués ses confrères, vitrines virtuelles destinées à contourner en douceur l'interdiction formelle de publicité à laquelle sont soumis les médecins. L’Ordre des médecins veillant au grain, les virtuoses du bistouri exploitent désormais la force de frappe considérable que leur offrent les réseaux sociaux, médias à part entière encore peu régulés qui leur permettent de draguer leurs potentiels patients sans intermédiaire.
Vidéos aux allures de court métrages professionnels le mettant en scène tel un 007 de la seringue, selfies torse nu transpirants immortalisés au détour de salles de sport cossues ou photomontages potaches où il se téléporte aux côtés de beautés botoxées : la caricature et les jugements hâtifs seraient faciles à la seule découverte de son seul profil Instagram. Ses concurrents ne s’en privent d’ailleurs pas, agacés qu’un confrère fasse ainsi voler en éclats les codes du milieu et la distance glaciale qu’exige la posture du médecin respectable.
« Ici, on ne parle que de médecine, même si c’est la mode de montrer sa suite d’hôtel et ses cours de sport » persiffle à son adresse un chirurgien sexagénaire à l’ancienne, préférant cracher sa rancœur sur la déferlante Instagram dont il ne maitrise pas les fondamentaux.
Sous des dehors hauts en couleurs, Oren Marco est pourtant un professionnel respecté de ses pairs. Spécialisé en chirurgie esthétique réparatrice, il appartient à l’aristocratie de cette discipline médicale qui redonne vie aux tissus endommagés par des brûlures au troisième degré ou de dramatiques accidents de la vie. A grand renfort de second degré et de gros plans d’anatomie féminine empruntés à l’œuvre de photographes illustres, il décrypte sur son profil Instagram les tendances esthétiques du moment. Non sans tordre le cou à certaines dérives, toujours sur le ton de l’humour.
Gong bouddhiste et prothèses mammaires en guise de presse-papier
Car les recettes du succès virtuel, @docteurbeauty les a peaufinées aux côtés de ceux mêmes qui les ont inventées; les influenceurs, égéries des temps modernes portées aux nues par une jeune génération accro aux réseaux sociaux. Une nouvelle vague d’hommes et femmes sandwichs plus ou moins prestigieux, rémunérés par des marques dont ils se font les ambassadeurs auprès de leurs communautés virtuelles respectives.
Au contact de l’influenceur Raphaël Simacourbe venu le consulter après une blessure à la jambe et avec lequel il se lie d’amitié, il écume les évènements nocturnes où se croise la fine fleur des icônes consacrées d’Instagram. Parmi elles, Caroline Receveur, influenceuse star exilée à Dubai qui totalise plus de quatre millions d’abonnés. Les choses s’enchaînent naturellement: la blogueuse lifestyle Clémence Allaire, la spécialiste ès sportswear Camille Farrugia et autres stars consacrées d’Instagram ont aussi recours à ses services, nouant parfois au passage des relations d’amitié sincères. Des interventions payées comptant et qui n’ont jamais donné lieu à aucun partenariat, comme le confirment à l'unisson tant le praticien et ses clients de l’élite digitale. Suivie par plus d’un million d’abonnés, l’influenceuse Noholita connue pour ses multiples collaborations avec les géants de la beauté et de la mode ne tarit pas d’éloges à son sujet:
« Je reçois de nombreuses propositions de chirurgiens à travers mes réseaux sociaux, offres que je n’ai jamais acceptées. La différence avec Oren, c’est qu’il ne m’a pas contactée, nous sommes passés par le schéma classique : je suis la patiente, il est mon docteur, j’ai une demande, il y répond. Il n’y a pas de “collaboration” entre nous. Il est mon ami mais demeure mon médecin. On ne fait pas les choses pour la galerie ni pour l’exposition. »
Même son de cloche chez Camille Farrugia, amazone sexy au corps recouvert de tatouages connue sous le pseudonyme de @holycamille par ses dizaines de milliers d’abonnés: « J’ai eu des propositions d’interventions esthétiques en Tunisie, que je n’ai pas pensé une seconde à accepter. Plusieurs personnes de mon entourage avaient été opérées par Oren et j’ai eu un excellent feeling. Il est pédagogue et doux, et voulait que je garde mon nez et mon identité mais ‘en mieux’ ».
C'est de toute évidence l'atout majeur de ce médecin fantasque et très enclin à l’autodérision. Quand l'occasion se présente, il n’hésite pas à jouer du cliché du juif Tunisien flambeur dans les stories qu’il parsème de rassrah et de miskine, gimmicks arabes popularisés par Cyril Hanouna en prime time. Mais ceux qui sont passés entre ses mains sont unanimes : Oren Marco parvient à établir un lien de confiance privilégié avec chacun(e) de ses patient(e)s et ne pousse jamais à la consommation, bien au contraire.
Contrairement à nombre de ses confrères, il n’a pas posé ses seringues dans le 16ème arrondissement bourgeois aux salles d’attente hantées par les femmes au foyer désespérément bouffies d’acide hyaluronique. Le trentenaire s’est établi rue du Mont Thabor, en plein cœur du quartier Vendôme où les géants de la joaillerie se disputent âprement des mètres carrés dont le prix flirte avec les sommets. Lieu photogénique aux allures de galerie contemporaine niché entre la rue Saint Honoré et les Tuileries, son élégant cabinet de curiosités est entièrement dédié au culte d’une féminité assumée.
Les chaises vintage dessinées par Harry Bertoia pour Knoll y côtoient les œuvres lumineuses de l’artiste Emmanuelle Rybojad. Jouxtant son vaste bureau de marbre noir où fleurissent des bustes féminins et où les prothèses mammaires servent de presse-papier, on remarque un immense gong bouddhiste revisité à la sauce contemporaine, instrument de percussion supposé favoriser la paix intérieure. Dans ses toilettes aux allures de Hall of Fame du scalpel où les précieuses parisiennes s’immortalisent comme si il s’agissait des WC d’un bar à la mode, s’affichent les photos d’Emily Ratajkowski et de Kim Kardashian fesses à l’air sur la couverture de Paper qui côtoient les portraits vintage d’Elisabeth Taylor en Cléopâtre.
Docteur Beauty semble s’amuser des caprices d’une patientèle aux fantasmes de jeunesse éternelle. Un rendez-vous chez lui se mérite, à la façon d’un concert qu’on réserve des mois à l’avance.
« On a aucun complexe à y croiser une connaissance, confesse la rédactrice en chef d’un grand magazine de mode. On se sent comme privilégiée, c’est presque le lieu où il faut être vue. » Connu pour refuser de nombreuses interventions qu'il juge superflues, il ne manque jamais de souligner qu’un passage sur le billard n’a rien d’innocent et doit répondre à un complexe précis.
Marco l’inclassable cultive l’art du paradoxe perpétuel. S'être façonné de son propre aveu un personnage virtuel bon vivant et déconneur ne l'empêche nullement de poser un voile pudique sur une large partie de son activité, à mille lieues du glamour et du bling bling de ses virées à Saint-Tropez, Tulum ou Ibiza.
Changement de décor. Coiffé d’un de ses calots multicolores, Oren Marco nous reçoit à l’hôpital Saint Louis où, compte Instagram en sourdine, il officie deux jours par semaine dans la plus grande discrétion. Ce pan méconnu de son activité mobilise quasiment la moitié de son temps, le professionnel de santé répugnant pour des raisons éthiques à mettre en scène une institution publique sur ses réseaux sociaux.
« J’ai été élevé dans cet état d’esprit qui consiste à donner et aider, y compris quand on a peu. Bien sûr, j’aurais pu quitter l’hôpital public depuis longtemps mais je me sens ici en famille, j’aime l’idée d’opérer aussi des personnes qui n’auraient pas les moyens de s’offrir une opération de chirurgie esthétique classique. » confie t-il entre les murs décrépis de l’hôpital bondé.
Sa vocation se dessine dès la petite enfance, après qu’un camarade de classe grand brûlé ne subisse une greffe de peau. Une curiosité naissante confortée par « Le miroir aux deux faces », film de 1958 avec Michèle Morgan et Bourvil qu’il visionne à cinq ans, puis par des heures passées au musée Rodin à contempler les courbes des statues. Ses camarades de collège retrouvés via les réseaux sociaux se souviennent d’un étudiant rêveur, qui griffonnait des seins et des visages pour tuer le temps pendant les cours.
La genèse de son compte Instagram aux milliers de likes ? Elle débute par un compte verrouillé et accessible uniquement à ses amis proches.
« J’ai des amis de tous les milieux, des avocats, des commerciaux, des personnes qui bossent en télé, et mon quotidien les amuse. A part des échanges purement professionnels avec des chirurgiens étrangers dont les techniques m’intéressent, je ne trouve pas grand interêt à fréquenter mes confrères. »
Chahuté par son exubérante amie Sandra, communicante et épouse de l’acteur Tomer Sisley, il finit par déprivatiser son compte. « J’étais réticent à exposer mes filles, et elle a eu cette phrase mythique: ‘il y a déjà les enfants des Carter et des Kardashian, donc les tiens tout le monde s’en tape!’. Cela m’a libéré. »
Laissant libre cours à sa spontanéité, Oren Marco entreprend de démystifier la discipline esthétique à coups de conseils garantis sans langue de bois, saupoudrés de plaisanteries bien senties. « J’ai crée une sorte de personnage qui n’en est pas tout à fait un, car fidèle à ce que je suis dans la vie. »
Ses tours du monde des cinq étoiles et ses soins du visage dans des spas grandioses constituent-ils à ses yeux une revanche sociale pour l’ado de Sarcelles qu’il fût autrefois? Pour financer ses études, @docteurbeauty a multiplié les petits boulots dans les boutiques de la rue Etienne Marcel, écumées l’une après l’autre. Tantôt téléprospecteur, vendeur en parapharmacie ou étalagiste sur les marchés les dimanche matins à l’aurore, il y affûte alors sa tchatche et son sens de la répartie.
« Je ne culpabilise plus de voyager aux quatre coins du monde, étant donné que j’ai réussi par moi même. Je ne vais pas jouer les Cosette, mais je suis issu d’un milieu modeste avec une enfance passée en banlieue, élevé uniquement par ma mère. Je me suis tapé pour y arriver! Ça aide à se prendre moins au sérieux. »
Quant au fameux transfert entre patient et thérapeute qu'on devine au vu des commentaires énamourés de certaines fans sous ses selfies Instagram, ce papa poule de trois ravissantes fillettes aux prénoms Italiens en fixe les limites avec lucidité : « Je renvoie l’image d’un époux et d’un père de famille, ça ne va donc jamais bien loin. Au risque de vous décevoir, je n’ai que des patients normaux! »
Un constat partagé par sa discrète épouse Carine qui n’apparait que rarement dans le monde fabuleux du @DocteurBeauty, mais porte un regard amusé sur sa popularité grandissante.
Non sans un clin d’oeil au passage: la jeune femme apparait sur Instagram sous le pseudo de @Miss.troy, en référence au chirurgien plasticien éponyme de la série Nip Tuck. Un personnage frimeur et sex addict interprété par Julian MacMahon qui modèle le corps de ses conquêtes à la façon d’un sculpteur trash. Mais ceci est une autre histoire.