Comment dire adieu au football d'hier ?
L'image fera date. Dimanche 6 mai, à l'issue d'un Clasico irrespirable, l'entraineur madrilène Zinedine Zidane donne l'accolade à son adversaire du jour, le milieu de terrain barcelonais Andrès Iniesta. Quelques jours plus tôt, au centre d'entrainement de Sant Joan Despi, le métronome blaugrana annonçait son départ, avec élégance et émotion. «Cette saison est la dernière ici», indiquait le petit milieu de terrain lors d’une conférence de presse spécialement tenue pour l'occasion, les yeux rougis et la voix brisée par l’émotion. «J’aurais aimé que tout cela soit éternel, que cela ne finisse jamais», a poursuivi Iniesta. «Mais tout a un début, et tout a une fin.» Voilà donc "San Andrès", symbole de la formation barcelonaise, idole catalane et légende de la sélection espagnole sur le départ. La fin d'une époque… C'est en effet un peu du football d'hier qui meurt avec ce départ annoncé. Petit, frêle et peu rapide, Iniesta n'avait, sur le papier, aucune des qualités aujourd'hui recherchés par les recruteurs en quête de pépites. C'était sans compter son talent balle au pied, son élégance et son agilité. Jadis associé à son compère Xavi dans l'entrejeu barcelonais, Iniesta impulsait le tempo, redoublait les passes, dictait le rythme de matchs devenus œuvres d'art, maitrisés de bout en bout. Loin du kick and rush rugueux et du diktat mourinesque de la défense acharnée, le Barça d'Iniesta popularisa l'idée selon laquelle le football pouvait être une affaire d'esthète. Irremplaçable Iniesta, à la fois mediocampista et grand maître, footballeur visionnaire qui voyait tout avant tout le monde. Un joueur capable d'évoluer à tous les postes du milieu de terrain et du front de l'attaque, souvent le long de la ligne médiane, quelquefois 10, parfois ailier et même attaquant de soutien. Influence gigantesque et sous-estimée. Si Messi continue de briller si fort, si Ronaldinho, Neymar, Eto'o et Henry inscrivirent tant de buts par le passé, c'est souvent à Iniesta qu'ils le devaient.
Reste une question : sous quel maillot Iniesta jouera-t-il l'année prochaine ? De l'autre côté des Pyrénées, les rumeurs vont bon train. Les plus informations les plus fiables conduisent le chouchou du Camp Nou vers l'Asie. Un temps, le championnat chinois semblait tenir la corde mais c'est au Japon et vraisemblablement au Vissel Kobe, club détenu par la société Rakuten (principal sponsor du Barça), qu'Iniesta devrait signer. A la clef, un contrat estimé à 25 millions d'euros nets par saison, avance la radio Cadena SER. De quoi assurer définitivement les vieux jours d'un joueur qui a déjà multiplié les investissements immobiliers, financiers et même terriens : Iniesta possède ainsi un vignoble de 120 hectares à Fuentealbilla, sa ville natale.
Iniesta en partance, Totti et Pirlo déjà à la retraite… Un à un, les géants s'en vont et c'est un peu le football d'hier qui disparaît à jamais. Désormais, tout se vend et tout s'achète. Même l'orgueil et la légende. Même la grâce et l'intégrité… De quoi chasser une autre légende, le gardien de but italien Gianluigi Buffon, des terrains de football ? Possible. A quarante années passées, la perspective d'une retraite bien méritée revient avec insistance dans l'entourage du portiere de la Squadra Azzura. Pour l'heure, rien n'est encore fixé. Mais l'envie semble s'étioler de jour en jour. Légendaire Buffon ! En sélection comme en club, ce dernier a tout connu : les victoires et les déconvenues, les rebondissements heureux et les coups du sort tragiques. Hormis une Ligue des Champions, seul trophée majeur manquant à son CV, "Gigi" possède un palmarès long comme le bras : une Coupe du Monde, une coupe UEFA, neuf scudetti, une place de second au Ballon d'Or... Reste que sa plus belle œuvre pourrait être une défaite… En 2006, lorsque son club, la Juventus, fut rétrogradé en seconde division à l'issue du scandale de matchs truqués, Buffon demeura à Turin. Malgré les sollicitations nombreuses et les promesses de contrats plus rémunérateurs, le gardien italien n'a jamais faibli. Grand seigneur, il joua donc sur des stades de secondes zones, contre des adversaires moins glorieux qu'hier, avant de faire remonter son club dans l'élite. Ce faisant, dans un pays où le football se joue en même temps que la messe, il devient une idole, mieux : un saint ! Comme Iniesta, Buffon, ses valeurs et son élégance manqueront cruellement au football de demain. Sans doute, d'autres joueurs, très doués, viendront les remplacer sur le carré vert. Mais auront-ils leur classe ? Seront-ils si charismatiques ?