Hommes

Parcels de lumière

On pourra enfin retrouver bientôt sur scène les excellents Parcels. Leur dernier album, recueil de pop idéale, festive et délicatement ouvragée, est une splendeur intemporelle. Depuis Los Angeles, où le groupe répète, le batteur Anatole Serret et le guitariste-chanteur Jules Crommelin ont partagé avec nous quelques souvenirs et impressions.

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Stylisme et casting Jennifer Eymère
Photographie et assistant stylisme
Kenzia Bengel de Vaulx

Byron Bay, Australie (en Nouvelle-Galles du Sud, pour être précis) est principalement connue pour être un spot apprécié par les surfeurs et les amateurs d’orchidées et de grenouilles, les unes et les autres présentant des espèces rares. Et désormais, aussi, pour Parcels, fondé là en 2014. Repéré tôt par le label franco-japonais Kitsuné, qui a toujours eu l’ouïe fine, le groupe a vu les Daft Punk assister à son premier concert français (enfin, sans le savoir, au regard de l’anonymat du duo, à moins qu’il ne soit arrivé dans le public casqué, mais l’on en doute). Chaque disque marquait le progrès d’une écriture décomplexée, et soulignait un goût certain pour les trouvailles sonores détonantes nichées au creux d’imparables refrains. Installés à Berlin, les cinq membres du groupe tracent leur propre route, librement, loin d’être paralysés par la hype qui parfois vampirise toute inspiration. 

Leur troisième album, Day/Night, confirme tout le bien que l’on pensait d’eux : vive, colorée, plus sophistiquée que ce que suggérerait une écoute étourdie, leur pop virevoltante s’est solidement installée dans nos oreilles. Ciselée avec soin, elle n’en est pas moins taillée pour faire onduler cœurs et corps au diapason. C’est peu dire qu’on a hâte de les découvrir lâchés dans la nature, sur scène, au plus près de la vie.

L’Officiel hommes: Dans quel état d’esprit êtes-vous à quelques jours de partir en tournée?

Anatole Serret: Jouer sur scène nous a tellement manqué…Nous abordons ce retour sur scène avec une énergie renouvelée.

L’Oh: Quel est votre premier souvenir de musique?

as: Mes parents habitaient à Bali, en Indonésie. On écoutait beaucoup de gamelan* dans la voiture. Cela dégageait tellement d’émotions… J’étais un gamin, et pas du tout certain de vouloir écouter la musique de mes hippies de parents, mais je me rends compte avec le recul que j’adorais ça.

Jules Crommelin: Je trouve que ça se sent dans ton jeu. Quand on répète, et improvise, on se retrouve parfois sur des rythmes un peu décalés, en 3/4… En ce qui me concerne, j’ai grandi dans la maison de ma mère, et son mari de l’époque avait une pièce remplie de disques, il y avait des enceintes dans toutes les pièces, il y avait de la musique constamment, du matin jusqu’à tard le soir. J’adorais particulièrement David Bowie et Sixto Rodriguez, notamment la chanson I Wonder. Je devais avoir 5 ou 6 ans, mais je me retrouvais dans ce qu’il faisait, il y avait quelque chose d’enfantin, de juvénile.

L’Oh: Comment naissent vos chansons?

JC: Elles viennent de l’inconscient. Le point de départ peut être des paroles, une mélodie, et ensuite nous nous laissons porter par un flux de conscience. Une idée nous emmène vers une autre, et ainsi de suite. Cela peut être très rapide, comme prendre des mois.



L’Oh: Est-il douloureux de juger si elles sont ou non finies?

as: Ce n’est jamais facile de décider si elles sont achevées, il y a toujours la tentation d’ajouter encore des couches de sons… C’est surtout notre intuition qui nous guide. En termes d’écriture, je crois que je préfère les chansons à la construction très simple. Quand nous sommes en studio, je suis très attentif à la facilité qu’il y aurait à se perdre… Souvent, nous arrivons au point où la chanson paraît parfaite, et cela m’apparaît comme une évidence – même si mon jugement est un peu hâtif parfois, il est arrivé qu’un autre membre ait une idée formidable, et qui met vraiment un point final à la chanson.

JC: Trouver l’équilibre entre notre intuition et le flot d’idées qui peut nous submerger est toujours délicat. 

L’Oh: Quand vous enregistrez, vous écoutez beaucoup de musique ou vous vous concentrez uniquement sur votre travail?

as: Il n’y a pas de règle. C’est un processus qui est propre à chacun. Parfois, c’est le bon moment pour s’ouvrir sur le monde extérieur, et parfois, c’est le bon moment pour se replier sur soi-même. Quand nous enregistrions le dernier album, nous écoutions très peu de musique. Nous étions totalement plongés dans notre travail.

JC: Si ça nous est arrivé, c’était quelque chose d’aussi éloigné de nous que possible.

L’Oh: Quels sont vos modèles?

as: Phoenix. Nous sommes partis en tournée avec eux, et voir leur implication chaque soir, observer à quel point leur amitié restait solide, alors qu’ils ont commencé il y a vingt-cinq ans, les rend particulièrement inspirants… Ils sont de plus adorables.

L’Oh: Comment aimez-vous que l’on parle de votre musique?

JC: Je trouve repoussant que l’on dise qu’elle est “funky”. Cela m’évoque immédiatement Jamiroquai. Nous avons aussi un rapport complexe à Steely Dan, je ne sais jamais comment le prendre… Mais lorsqu’une référence me met mal à l’aise, cela me pousse à comprendre ce qui dans notre musique peut bien l’évoquer…

L’Oh: Vous habitez à Berlin. Est-ce que cette ville a eu une influence sur votre travail?

as: Je ne crois pas que la scène musicale berlinoise nous influence, mais plutôt ses lieux festifs, les clubs. Nous avons toujours voulu faire danser les gens avec nos concerts, voir le public bouger comme un organisme vivant, comme on peut le voir dans les clubs berlinois.

JC: Nous aimons autant voir les gens danser qu’imaginer qu’ils trouvent dans notre musique une connexion émotionnelle personnelle, que le groove rejoigne l’émotion.



L’Oh: Quel est votre son préféré? Et celui que vous détestez le plus?

as: Le 909 [un instrument électronique créé en 1984 par Roland Corporation, qui a joué un rôle essentiel dans la naissance des musiques électroniques, ndlr], j’adore. Et je déteste le son des sirènes de police berlinoise, qui n’a pas changé depuis les années 80, époque où il y avait beaucoup d’émeutes urbaines. Elles sont horribles.

 

L’Oh: Rêvez-vous de musique?

JC: Du son de batterie parfait.



L’Oh: Quelles autres formes artistiques vous inspirent?

as: J’écoute beaucoup de conférences de Terence McKenna [écrivain et philosophe américain, connu pour son travail pour le moins éclectique sur le chamanisme, la naissance de l’espèce humaine, la conscience, la géométrie fractale, la botanique, etc., ndlr]. Je ne suis pas certain qu’elles m’inspirent, mais je suis tellement fasciné par ce qu’il raconte que j’en garde forcément quelque chose.



L’Oh: Que pensez-vous de la démarche d’Alessandro Michele, le directeur de la création de la maison Gucci?

as: On ne l’a pas encore rencontré, mais nous aimons beaucoup son travail. La façon dont il étudie le passé pour s’en inspirer sans jamais copier ce qui a été fait, en le transformant pour le rendre moderne.

JC: La mode et la musique vivent un peu dans le même monde, avec les mêmes problématiques, notamment celle d’établir une conversation stimulante avec le passé, le “classique”, et lui insuffler de la nouveauté excitante. C’est ce que fait Alessandro et ce que nous essayons de faire également. 


L’Oh
:
Quelle chanson vous auriez adoré avoir écrite?

as: Across The Universe des Beatles. Je ne l’ai totalement comprise qu’en voyant le [génial, ndlr] documentaire Get Back que Peter Jackson leur a consacré.

JC: Here, There and Everywhere des Beatles.



L’Oh: Avez-vous des regrets depuis le début de Parcels?

as: Aucun. Je crois en l’effet papillon de la vie. Je suis heureux de là où nous sommes arrivés.

JC: Je suis totalement d’accord.



*Instrument de musique constitué principalement de claviers de lames et de gongs en bronze, très répandu à Bali.


Toutes les dates de la tournée 2022 sont à retrouver sur parcelsmusic.com
Album : Day/Night (Because Music)

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