Hommes

Qui sont les gourous du parfum ?

Ils sont quelques-uns, à peine une poignée, à réinventer l’industrie du parfum. Voici notre “power list”.
bottle cosmetics
L'homme de goût : Frédéric Malle

Attaché aux jolies choses qui durent, Frédéric Malle (petit- fils de Serge Heftler-Louiche, fondateur des parfums Christian Dior) a toujours ce souci du travail bien fait. Sa parfumerie a l’allure raisonnable qui cherche a priori à plaire plutôt qu’à déranger. Et puis sans faire de bruit, elle étonne et enfin... détonne (il faut sentir “Vétiver Extraordinaire” ou “Musc Ravageur” pour s’en rendre compte). Certes, il a créé en 2000 les Éditions de Parfums Frédéric Malle, maison rachetée depuis à prix d’or par Estée Lauder ; mais il a surtout remis le “nez” au centre de la création (affichant même son nom sur le flacon) et ranimé la fonction de directeur artistique dans une industrie qui manquait cruellement de vision et d’ambition. 

Chasseur d'essences : Stéphane Piquart

Aventurier infatigable, détrousseur de méridiens, Stéphane Piquart est “sourceur” de matières premières. Depuis qu’il a créé la société Behave en 2007, il prend la tangente tous les deux mois pour traquer de nouvelles essences comme d’autres cherchent de l’or. Fort rêveur, ce Nantais ambitionne de démontrer qu’on peut encore découvrir de nouveaux ingrédients qui donneront un supplément d’âme à la parfumerie de luxe. S’il a le goût du lointain, cela vient de sa passion pour les matières bizarres, déjantées, furieuses. Il se perd volontiers dans les jardins de chamanes pour renifler les décoctions où personne n’oserait aventurer son nez. Chez les Himbas de Namibie, il a déniché le “bushman candle”, une résine qui, une fois brûlée, dégage une odeur d’encens et de benjoin. 

Productrice de fleurs rares : Carole Biancalana

Elle a grandi ici, au beau milieu de la rose et du jasmin (“le parfum de ma grand-mère”). Après un job dans la banque, où elle se fanait, Carole Biancalana a voulu reprendre l’exploitation de fleurs à parfum de ses parents pour perpétuer des savoir-faire ancestraux. Niché entre les pré-Alpes et la mer, le domaine de Manon cultive (sans engrais chimiques) quelque 3,5 hectares de jasmins, de roses et de tubéreuses. Cette amoureuse du beau et du sent-bon a lancé le mouvement de la reconquête qui veut réinstaller Grasse comme capitale mondiale de la parfumerie. En 2008, elle a créé l’association Les Fleurs d’exception du pays de Grasse et a obtenu que la maison Dior, avec qui elle a signé un partenariat exclusif, achète l’intégralité de sa production. C’est dire que ses fleurs ont un parfum inimitable. 

Le visionnaire : Marc Puig

Le point commun entre Jean Paul Gaultier, Prada, Comme des Garçons, Paco Rabanne, Carolina Herrera et Nina Ricci ? Marc Puig. Représentant de la troisième génération d’une dynastie de parfumeurs catalans, le “guépard ibère” est, depuis 2004, à la tête de la société Puig (cinquième parfumeur mondial) qui vient de fêter ses cent ans. Personnalité la plus discrète de l’industrie du parfum, cet homme à l’élégance rigoureuse dont la plus grande marque d’originalité reste sa paire de lunettes Prada, vient d’être distingué par le prix Hall of Fame de l’année de l’américaine Fragrance Foundation. En 2008, c’est lui qui a mis sur le marché “1 Million”, de Paco Rabanne, bombe à la testostérone, devenu quasi instantanément numéro un mondial (il paraît qu’un flacon s’en vend toutes les cinq secondes en Europe!), détrôné depuis par “Invictus”. La success story Puig est si inédite qu’elle est devenue objet d’étude à Harvard. 

Provençal volubile et chaleureux, Olivier Maure entre au début des années 90 (à l’âge de 19 ans) chez Art & Parfum, la société fondée en 1946 par Edmond Roudnitska, l’un des plus grands parfumeurs du XXe siècle. En 2004, Olivier Maure crée avec Michel Roudnitska ( fils de Thérèse et d’Edmond) la société Accords et Parfums, un centre de fabrication dédié aux parfumeurs indépendants, installé à Spéracèdes, à quelques kilomètres de Grasse (Alpes-Maritimes). Ils sont 34 aujourd’hui à se fournir en matières premières et à faire fabriquer leur concentré chez Olivier (une tonne est produite chaque jour), parmi lesquels quelques grands noms : Bertrand Duchaufour, Karine Chevalier, Céline Ellena ou Thomas Fontaine. Une aventure unique en son genre qui a créé les conditions de sa liberté : elle est 100 % autofinancée par Olivier Maure et le pool de parfumeurs. 

L'oracle : Jean-Claude Ellena

Ce Grassois, qui ne s’est jamais tout à fait résolu à l’exil, est entré en parfumerie comme on entre en religion. Ouvrier aux usines Chiris de Grasse avant de gravir un à un les échelons de l’industrie et de devenir compositeur – d’abord pour de grands laboratoires puis pour la maison Hermès, à laquelle il a offert son écriture en gage de reconnaissance –, cet homme courtois et élégamment timide n’a pas seulement révolutionné la composition par l’épure, il a pensé le parfum, l’a mis en mots. S’il a choisi de construire ses formules avec un crayon et un papier (et en peu de mots, comme des haïkus), c’est un peu malgré lui qu’il a endossé l’habit d’oracle, donnant deux décennies durant le “la” de la parfumerie. Dans son dernier ouvrage, L’Écrivain d’odeurs (éd. Contrepoint), celui qui est toujours en quête de liberté, d’exigence et de mesure... et qui n’a jamais ni d’inspirer les jeunes créateurs expose sa vision d’une parfumerie qui “serait unique sans pour autant choquer”. 

L'air du temps : Karine Lebret-Leroux

Pharmacienne de formation, elle a eu du nez en créant, il y a quatorze ans, la cellule olfactive du groupe L’Oréal qui regroupe 14 évaluateurs et évaluatrices. Son métier consiste à mettre en place une prospective olfactive, une sorte
de recherche fondamentale et à être proactif en allant chercher de nouvelles matières premières ou de nouvelles techniques d’extraction exclusives, voire de nouvelles lières d’approvisionnement pour nourrir chacune des marques (Lancôme, YSL, Armani, Viktor & Rolf...) et faire ainsi la différence. La directrice de la création et du développement des parfums chez L’Oréal Luxe a révolutionné le métier en faisant entrer l’évaluation, fonction qui était du ressort exclusif de la maison de composition, au cœur de la marque. 

L'artiste : Dominique Ropion

Avant d’aimer les parfums, ce Parisien pur jus a aimé les odeurs, toutes les odeurs, le sent-bon et la puanteur à égalité. “Maître des eurs” incontesté (il admire l’artiste américaine Georgia o’Keeffe, qui sait si bien représenter l’intimité de la fleur), ce nez prolifique est en compétition sur tous les plus grands parfums du moment (il est l’heureux auteur du parfum “Y” d’Yves Saint Laurent). Capable de passer avec la même aisance d’un blockbuster (“La Vie est Belle”, de Lancôme) à un parfum d’auteur (“Portrait of a Lady”, de Frédéric Malle) et même de faire la synthèse entre ces deux mondes (“Alien”, de Mugler), Dominique Ropion est sans aucun doute le plus sexuel de nos parfumeurs, capable de faire monter la température des corps en un accord et de créer des sillages interminables qu’on a envie de suivre jusqu’au bout de la nuit... 

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