Hommes

Romain Gavras : "Athena ? C’est un huis clos à ciel ouvert"

Athena s’est imposé comme l’un des films les plus forts de l’automne, un récit de colères en deuil, de rage froide, haletant et saisissant. Rencontre avec son réalisateur, Romain Gavras.

Veste en coton, CARHARTT WIP. Lunettes de soleil, RAY-BAN. Chemise et T-shirt, perso.
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L’OFFICIEL HOMMES : D’où vient une envie de film ? Une idée de récit, de personnages ?
ROMAIN GAVRAS : En général, d’une situation. Avec Ladj Ly (avec Elias Belkeddar, le coscénariste d’Athena, et par ailleurs réalisa- teur des Misérables, ndlr), on voulait parler d’une situation d’embrasement, la raconter depuis l’intérieur, et d’une certaine manière. Pour moi, la forme et le fond s’allient à parts égales. La façon de la raconter, avec des marqueurs de la tragédie grecque, de parler en symbolique, en immersion dans une idée de temps. Comme dans la tragédie grecque, l’acte de violence à l’origine du récit n’est pas montré, on en prend connaissance à travers le compte-rendu qui en est fait par un des protagonistes principaux. Il y a beaucoup de hors-champ dans le film, comme l’embrasement du pays, ou le deuil de la mère dont on ne voit le visage qu’une fois. Il est pourtant présent dans notre esprit pendant tout le film. Pour nourrir le récit, avec Ladj et les comédiens, on parlait beaucoup des personnages, de leurs profils, de l’idée de fratrie. Le scénario est assez proche du film fini, mais on l’a adapté en fonction du décor, de sa géographie, puisqu’au moment de l’écriture, nous n’avions pas encore le décor.

L’OH : À ce sujet, la cité est quasiment le personnage principal du film. RG : C’est pour ça qu’on a appelé le film ainsi, pour l’honorer (il s’agit dans la réalité du quartier du Parc aux lièvres, à Évry-Cour- couronnes, dans l’Essonne, ndlr). C’est un huis clos à ciel ouvert. Je trouvais important que le film porte le nom de ce quartier, même s’il est fictif.

L’OH : Il y a une dimension de western, de péplum...
RG : La tragédie parle d’une réalité, mais on l’élève par la symbolique, par la puissance des images. On voulait que certaines scènes ressemblent à des scènes de siège, comme dans la guerre de Troie. Avec le chef opérateur, Matias Boucard, on a revu Ran, d’Akira Kurosawa, dans lequel les samouraïs évoquent avec leurs armures les CRS, et pour les plans de châteaux en feu. On a aussi regardé beaucoup de vieux films ou tout était filmé sans fond vert, mécaniquement, pour définir une grammaire classique.

L’OH : Comment avez-vous préparé le tournage ?
RG : Quand j’étais petit, je n’avais pas le droit de regarder des Walt Disney. J’étais plutôt bercé par les tragédies grecques ou les grands récits mythologiques. À la place du Roi Lion, j’avais droit à Œdipe Roi... Mais on ne voulait pas être pieds et poings liés à une tragédie en particulier. C’est plus sur la structure narrative, la symbolique et le rôle de la musique, avec le recours aux coryphées qui viennent narrer l’histoire, que cette influence a joué. Par exemple, les paroles ont été écrites par un ami grec, Noda Pappa, pour le thème de Karim – elles disent “Enfants de la lumière, sortez des ténèbres et montrez la foudre aux Dieux.” On voulait que le film soit aussi divertissant. Avant le film, avec le chef opérateur, on regardait des tableaux, comme ceux de Delacroix, ou des films, comme la version russe de Guerre et Paix, ou Soy Cuba de Mikhaïl Kalatozov, un peu la bible des plans séquences mécaniques, avant l’apparition de la 3D, mais on a aussi essayé d’inventer une nouvelle manière de penser cet exercice technique, donc on a évité de trop se charger en références.

L’OH : Même s’il n’est pas réductible à cette catégorie, le f ilm s’inscrit dans un certain genre, le film dit “de banlieue”...
RG : Je pense que c’est presque une idée du passé. Le premier serait Le Thé au harem d’Archimède, de Mehdi Charef, en 1985, sans doute un des meilleurs. Puis, il y a eu La Haine de Mathieu Kassovitz, Ma 6-T va crack-er de Jean-François Richet... Pour moi, c’est plus une question de territoire qu’un style de film. Ce qu’on appelle la culture urbaine, aujourd’hui, c’est le mainstream, il suffit de regarder le top des musiques écoutées. Avec les scénaristes, on s’est vite posé la question et cela vaut pour tous les genres de films : quelle est notre responsabilité, au-delà des enjeux politiques ou moraux, d’un point de vue formel ? Qu’est-ce qu’on peut apporter de nouveau, de différent? C’est ça qui nous a guidés.

L’OH : Il y a des personnages, des apparitions – comme ce cavalier – qui poussent le film vers le fantastique, le surréalisme...
RG : Oui. Comme ces revenants du Djihad. Le personnage d’Étienne est un peu le Nemesis d’Abdel, ils auraient pu se croiser sur un front différent, ailleurs dans le monde.

L’OH : Forcément, ce f ilm peut vous amener à répondre à des questions sur des enjeux sociaux qu’il soulève...
RG : Quand on fait ce film, on est dans un certain type de codes. Mais on ne voulait pas rester dans le fait divers ou le débat télévisé. On voulait l’inscrire dans un cadre plus intemporel, il aurait pu se dérouler pendant la guerre de Troie, ou dans le futur. Il y a un archétype de la guerre civile, elle part d’une douleur intime qui va déborder sur un petit territoire, en l’occurrence la cité, même au sens grec de la Cité, pour ensuite se répandre dans tout un pays. C’est ce que dit Homère, dès qu’il y a un acte maléfique, une tragédie en découle, puis le destin emporte tous les protagonistes.

L’OH : Vous avez beaucoup répété avant le tournage ?
RG : Oui, pendant un mois et demi. Comme le montage a été conçu au tournage, c’était essentiel. On a filé tout le film, comme on ferait avec une pièce de théâtre, avec les comédiens, une petite caméra, au milieu d’un décor fait de cartons pour créer les volumes. Pour trouver le tempo, c’était nécessaire. J’ai travaillé avec mon monteur Benjamin Weill, en regardant les rushes des essais, il m’aidait à trouver le rythme au moment du tournage.

L’OH : Est-ce que tourner des clips et des publicités nourrit votre travail de cinéaste?
RG : Clips et pubs sont deux exercices différents. Les premiers permettent d’évoquer des sensations par le symbolisme, certains de mes clips sont un peu comme des singles, et Athena serait l’album... Il y a une certaine résonance. De plus, les clips permettent d’optimiser le budget qu’on a. Les pubs m’ont permis de composer avec d’énormes budgets, et des équipes conséquentes, et d’apprivoiser certains aspects techniques du cinéma.

L’OH : Il s’agit de votre troisième film, est-ce que vous avez l’impression d ’avoir trouvé votre identité de cinéaste, ou la réinventez-vous à chaque film?
RG : J’espère qu’elle se réinvente à chaque film. C’est important d’avoir un style, même si j’irai sans doute sur un territoire totalement différent pour le prochain film. Dans mes deux premiers films, il y avait beaucoup d’humour, et pour Athena, j’ai voulu être dans l’émotion, la sensation, la tragédie, sans passer par l’ironie.

Athena. Disponible sur Netflix. Un film de Romain Gavras, avec Dali Benssalah, Sami Slimane, Ouassini Embarek et Anthony Bajon.

Lunettes de soleil, RAY-BAN. Chemise, T-shirt et montre, perso.
Lunettes de soleil, RAY-BAN. Chemise, T-shirt et montre, perso.

Photographie LEON PROST

Stylisme JENNIFER EYMÈRE

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