Cartier éblouit New-York
Governors Island. Une île de taille modeste (70 hectares à peine) en forme de cornet de glace, lovée dans la baie supérieure de New York. Vraisemblablement un ancien lieu de pêche. Aucun habitant. C’est aujourd’hui un parc naturel et un laboratoire de développement durable. Depuis 2003, elle n’est accessible que par ferry depuis la pointe sud de Manhattan et surtout, elle n’est ouverte au public que pendant la période estivale jusqu’au Labor Day, c’est-à-dire le premier lundi de septembre. Mais cette nuit d’octobre, les règles en vigueur n’ont plus court.
Première infraction aux règles, le champagne (griffé Cartier) coule à flots lors de la traversée en ferry, ce qui est habituellement interdit, sécurité oblige. Mais la sécurité, ce soir, les prestigieux invités de Cartier n’auront pas à s’en soucier : le joaillier a tout pris à sa charge, des hélicoptères qui gravitent au-dessus des têtes à l’armada de grooms qui veillent à ce que les stilettos ne trébuchent pas sur une marche imprévue. Qui sont les invités ? La crème des rédactrices internationales, les stars amies de la maison (Sophia Coppola en tête) et, bien sûr, les clients VVVIP qui dès le lendemain pourront découvrir au sein de la mansion new-yorkaise du joaillier, située au cœur de la 5e Avenue, l’extraordinaire collection de haute joaillerie “Résonances” de Cartier : une centaine de pièces de haute joaillerie célébrant les pierres de caractères.
Tout grand joaillier se doit d’être un admirable metteur en scène. Lorsque Pierre Cartier voulait présenter une pierre rarissime à une richissime cliente, il lui rendait visite au Bristol par exemple et lui tendait tendrement un paquet cacheté à la cire contenant la pierre. La maison française perpétue ce soir cette tradition auprès de sa clientèle new-yorkaise. Une fois la traversée en ferry effectuée, les invités sont transportés en bus d’époque (griffés Cartier eux aussi) jusqu’au cœur des festivités. Décor d’une grande modernité, dîner de gala orchestré par Dan Barber (le chef de Barack Obama), concert privé d’Andra Day, DJ set de Grandmaster Flash. La vue surtout est éblouissante : la plus belle qu’on puisse imaginer sur la skyline, l’horizon des gratte-ciel de Big Apple, au loin la statue de la Liberté dresse son flambeau, Brooklyn scintille, les flots noirs du Buttermilk Channel sont constellés d’étoiles. Perfidement, on imagine volontiers les autres joailliers scrutant à la loupe les comptes Instagram des personnalités présentes, pour mesurer la hauteur à laquelle Cartier a hissé le curseur de l’excellence.
Une première partie de la collection avait été présentée à Londres en début d’été. Un succès fracassant : quatre-vingts pour cent des pièces vendues en une semaine. Le joaillier s’apprête à renouveler l’exploit outre-Atlantique. Il faut dire que le pari est excitant. Historiquement, Cartier a des liens forts avec New York. Pierre Cartier, l’un des trois petits-fils du fondateur avait ressenti très tôt le besoin d’aller aux États-Unis et de diriger la filiale new-yorkaise avec les méthodes du Nouveau Monde. Avec Jules Glaenzer, fils d’un antiquaire qui dirigeait le magasin de la 5e Avenue, ils recevaient à dîner les artistes de Hollywood et contribuer à donner en Amérique une image de Cartier conforme à sa gloire parisienne. Cette image cependant s’était peut-être un peu diluée, d’une part à la mort du dernier des trois frères Cartier en 1965 et, d’autre part, lorsque la maison se mit à privilégier le lancement de produits tous azimuts, parfois sans connexion immédiate avec l’ADN de Cartier.
Cette époque est révolue. Cyrille Vigneron, le nouveau président de Cartier, veille à donner à la maison toute sa cohérence et à initier des opérations qui conjuguent à la fois la noblesse des créations de Cartier et à l’universalité de sa vocation. “La collection de haute joaillerie ‘Résonances’ sera visible au grand public pendant trois semaines à New York”, explique Arnaud Carrez, directeur de la communication de la maison. Il s’agit avant tout, non pas d’initier un acte d’achat, mais d’exalter auprès des New-Yorkais la magie et la singularité d’une maison de joaillerie à la créativité sans égale. C’est la raison pour laquelle la collection est présentée au milieu des pièces plus anciennes, afin de permettre aux visiteurs de percevoir et de mieux comprendre peut-être, toute l’originalité mais aussi la cohérence du style de la maison.”
Au sein de la collection “Résonances”, les pierres sont reines. C’est même le point de départ de toute collection de haute joaillerie qui se respecte. Pierre Rainero, directeur du style et de l’image de la maison Cartier, insiste sur ce point. “Dans la joaillerie, le design prime et on choisit les pierres en fonction des besoins du dessin, dans la haute joaillerie c’est l’inverse, le premier acte créatif est l’achat d’une pierre. Vient ensuite le thème de la collection qui a pour fonction d’inspirer les dessinateurs à partir des pierres que nous souhaitons mettre en lumière.”
“Résonances” ne fait pas écho ici à des pierres historiques, ni à des clients célèbres de la maison. Mais plutôt aux vibrations qui unissent les pierres entre elles, aux ondes que réfractent les gemmes dans l’architecture du bijou. D’imposantes gouttelettes de diamants jaunes taille briolette semblent étirer de leurs poids apparents, la structure d’un collier, pourtant aérien et léger, dans un double jeu entre réalité et suggestion. La structure hexagonale d’un brut d’émeraude inspire un dessin, une panthère semble se baigner dans des flots d’aigue-marine, la force caractéristique de deux diamants triangulaires remarquables se répercute dans la structure ajourée – un véritable tour de force – d’un bracelet sur lequel la lumière semble glisser le long des courbes torsadées qui sont en réalité des strates de cristal de roche. Tout semble être une question d’énergie, de rythme : l’onyx soutient le feu du diamant, des panneaux de laque noire structurent l’anneau d’une bague illuminée par une opale solaire de 16 carats, des perles de diamants roses adoucissent la radicalité minérale d’un spinelle, des teintes rarissimes (un diamant fancy intense pink de 2,18 carats et un diamant fancy intense blue de 2,03 carats) enivrent le tempo alangui d’une bague toi & moi. On a beau se dire qu’on connaît par cœur la grammaire de la maison, ses pierres de prédilection, ses thèmes préférés (animalier, floral, tutti frutti, art déco), la surprise naît toujours d’un élément imprévu : comme ce diamant noir qui est tout sauf opaque, cette opale d’Australie qui semble orchestrer autour d’elle une symphonie d’or et de miel. Ou ce spinelle bleu dans lequel un éclair semble se réfracter, comme la foudre dans un ciel orageux.