Chantal Akerman : Travelling, une exposition à ne pas manquer au Jeu de Paume
Grâce à la remise du titre de « meilleur film de tous les temps » à son film Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles (1975) en 2022 et une rétrospective de ses longs-métrages à l’automne 2024, l’œuvre de Chantal Akerman a pu être redécouverte par le public. Il est aujourd’hui possible de visiter au musée du Jeu de Paume l’exposition Chantal Akerman. Travelling, et ce, jusqu’au 19 janvier 2025.
Une telle exposition suscite en premier lieu des interrogations chez le visiteur : Comment « exposer » le cinéma ? Comment exposer à la lumière ce qui été créé pour être projeté dans une salle obscure ?
Le travail de Chantal Akerman y répond d’abord par lui-même. En collaboration avec de grands musées américains, la cinéaste avait amorcé dès 1995 la création d’installations vidéo consistant en la diffusion d’extraits de ses films, en canon, sur des écrans de télévision.
D’est, au bord de la fiction (1995), la plus impressionnante des installations vidéo de Chantal Akerman
Conçue pour le Musée d’art moderne de San Francisco, il s’agit d’une composition de 25 écrans, autant de halos dans une salle obscure, diffusant des extraits du documentaire D’est (1993). On y voit des prises de vue des pays d’Europe de l’Est, post-chute du rideau de fer. On y voit l’éclatement du pacte de Varsovie et l’avènement de l’hégémonie américaine. L’on y croise autant de chapkas que de Pepsi Cola. Tandis que les personnages marchent, le regard du visiteur s’arrête là où il le souhaite, à Berlin-Est ou à Moscou.
Ces compositions vidéo sont accompagnées d’un travail didactique sur les influences de la cinéaste et les grandes lignes de sa carrière. L’on y voit notamment la place de l’histoire des Juifs aux XXè siècle dans son œuvre, profondément marquée par l’exil et la Shoah – sa mère Natalia est une survivante d’Auschwitz —. Il s’agit d’une histoire qu’elle a notamment mise en scène dans son film Histoires d’Amérique (1989) dans lequel des juifs new-yorkais discutent de leurs vies avec l’humour comme seule boussole.
Un « livre dont vous êtes le héros » dans sa version intello
Cet aspect pédagogique de l’exposition, biographie sur des murs, dépasse la page Wikipédia par son aspect protéiforme. Le visiteur peut consulter les « archives » de Chantal Akerman, lire les « notes d’intention » de certains de ses films ainsi que des critiques de ceux-ci. De même, certains de ses courts-métrages ou des extraits de ses longs-métrages sont projetés. Le choix de lire tel ou tel texte ou de s’arrêter pour mettre un casque et regarder un court-métrage multiplie les intérêts de la visite. À la manière d’un « livre dont vous êtes le héros », dans sa version intello, la salle d’archives permet à chaque visiteur de créer son propre rapport avec la dense œuvre de la cinéaste belge.
Citons ainsi un sympathique texte de la cinéaste, qui est une sorte d’explicitation de son projet des Histoires d’Amérique (avant le tournage). Akerman raconte sa rencontre avec le prix Nobel de littérature Isaac Bashevis Singer, qu’elle a appelé en trouvant son numéro... grâce aux renseignements téléphoniques. Il lui propose de se balader à Miami, comme « deux vieux amis : toi tu seras l’ami et moi le vieux ».
On peut aussi tomber presque par hasard sur le court-métrage Family Business (1984) dans lequel Chantal Akerman, jouant son propre rôle pour la télévision britannique, part à la recherche d’un oncle américain très riche, complétement fantasmé, pour que celui-ci l’aide à financer son propre film. Faute de trouver l’oncle, elle retrouve l’actrice Aurore Clément à qui Akerman donne un cours d’anglais volontairement digne d’une vache espagnole.
Le travelling est affaire de points de vue
L’exposition s’intitule Chantal Akerman. Travelling en référence au mouvement de la caméra lors d’une prise de vue alors que ce sont surtout ses plans fixes qui ont fait sa gloire avec Jeanne Dielman. Peut-être le titre de l’exposition fait il allusion au perpétuel va et vient de la réalisatrice. Le critique Jacques Mandelbaum parle de « cinéma de la lisière par excellence ». Ce va et vient se fait entre documentaire et fiction, entre jour et nuit, entre Europe et Amérique, entre regard vers le passé et ambition cinématographique radicalement moderne.