Pop Culture

Comment l'industrie du cinéma perpétue-t-elle l'hypersexualisation des femmes asiatiques ?

La tuerie d’Atlanta de ce mardi 16 mars 2021 en dit long sur la représentation des femmes asiatiques dans l’imaginaire collectif… Entre whitewashing et racisme, c’est la triple peine pour celles qui continuent de voir leurs corps exploités et sexualisés par l’industrie du cinéma, reflet d’une société déshumanisée et problématique. Comment l’industrie cinématographique s’est-elle rendue coupable de l’hypersexualisation des femmes asiatiques à travers le temps et à quel prix ? Décryptage.

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Huit personnes dont six femmes de la communauté asiatique ont perdu la vie en Géorgie (Atlanta) ce mardi 16 mars 2021, des suites d’une attaque terroriste commise par un jeune homme blanc dans des salons de massages chinois de la ville. Si Robert Aaron Long, le suspect âgé de 21 ans et la police nient tout biais raciste plaidant "un problème d’addiction sexuelle potentielle" pour lequel ces salons présentaient une "tentation", la presse américaine et les militants anti-racistes y voient le signal d’alarme d’une violence accrue contre les femmes asiatiques et plus largement la communauté asiatique.

Ces actes de barbaries révèlent d’un racisme et d’une misogynie contre les femmes asiatiques bien ancré dans nos sociétés actuelles et pour cause : leur représentation est ultra sexualisée, fétichisée et stéréotypée dans la littérature, la musique et plus particulièrement le cinéma, grand vecteur d’opinion.

Véritable reflet de la société, le 7ème art exerce une forte influence sur l’opinion publique, jouant souvent un rôle capital dans l’éducation de celui qui le consomme et qui cherche une forme de réalité à travers ces productions. L’industrie du cinéma porte donc une large responsabilité sur les représentations qu’elle promeut ainsi que les comportements qu’elle engendre. Quand il est dans la nature de cette dernière d’offrir des rôles stéréotypés, réduisant les femmes asiatiques à des objets sexuels qui nourrissent un imaginaire qui leur est violemment projeté dans la réalité, l'industrie cinématographique mondiale prouve ô combien, elle a encore de grands progrès à faire. La preuve en 8 films démontrant comment le cinéma perpétue l’hypersexualisation des femmes asiatiques. Et autant d'images que l’on ne veut plus voir.

Le Voleur de Bagdad (1924)

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Avec le Chinese Exclusion Act de 1882, qui manifeste le racisme d’une société américaine multipliant les discriminations et parfois les violences à l’encontre de la communauté chinoise vivant aux États-Unis, les rôles principaux étaient joués par des actrices blanches qui se grimaient, au besoin, le visage (whitewhashing), ne laissant que de petits rôles pour les personnes racisés. C’est le cas de Ana May Wong, qui joue le rôle secondaire d’une esclave mongole dans Un voleur à Bagdad (1924). Elle n’apparait que quelques minutes pour une (la seule) scène érotique à connotation sadique, dans laquelle elle est mi-nue, sensuelle, lascive et soumise à Douglas Fairbanks. Suscitant le fantasme, l’actrice a ainsi écopée d’un statut de "sex-symbol" qui l’a poursuivi tout au long de sa carrière, lui permettant d'ouvrir la voie aux actrices sino-américaines. Cette scène renforce le cliché de la femme asiatique soumise, à qui on ôte la parole, pour s'adonner à toutes sortes de jeux sexuels sadiques.

Piccadilly (1929)

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En 1929 pour le film Piccadilly, le réalisateur allemand Ewald-Andre Dupont laisse sa chance à l’actrice Ana May Wong qui s’était exilée en Europe pour échapper aux rôles stéréotypés dans lesquels l’actrice était cantonnée aux États-Unis. Malheureusement pour elle, si elle obtient un rôle principal, c’est pour l’exotisme qu’elle renvoie à l’écran. Dans ce film, elle joue Shosho, une jeune femme qui travaille dans la cuisine d’un cabaret. Surprise en train de danser par son patron blanc, ce dernier est envouté et fait d’elle une star qui meurt assassinée par l’un des siens. Car oui, dans l’industrie du cinéma, les happy-endings ne sont encore réservés qu’aux acteurs blancs, tandis que les fins tragiques de sang froid sont réservées aux femmes asiatiques, considérées comme froides, masochistes et sadiques.

Sayonara (1957)

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À la fin de la seconde guerre mondiale, la conception traditionnelle de la famille est plus que jamais le reflet d’une société qui repose sur une femme domestiquée, dont l’utilité est d’accompagner les hommes revenus du front. La femme asiatique est d’autant plus idéalisée, elle devient alors "moitié servante-moitié épouse", car pour l’époque, elles restent des ennemies. Dans le film Sayonara, l’actrice Miiko Taka joue le rôle d’Hana-ogi, une femme dévouée et timide qui s’abandonne totalement à son compagnon, un soldat américain stationné au Japon pendant la Deuxième Guerre mondiale et maître de toute décision. Bien que le code militaire interdît toutes relations avec "l’ennemi", ces transgressions aux règles de l’époque n’existent qui si elles sont justifiées par l’infantilisation de la femme racisée et l'héroïsation inconsciente de l'homme blanc, éternel whitesavior.

Full Metal Jacket (1987)

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Avec la migration, l'infantilisation et l'érotisation du corps asiatique s’est réaffirmée tandis qu'à la fin des années 80 les femmes asiatiques quittent leur tablier de ménagères pour jouer des rôles de prostituées. Dans le film Full Metal Jacket de Stanley Kubrick, une scène où l’on voit une jeune femme asiatique aguicher deux militaires américains dans un anglais approximatif, illustre bien ce propos. Ces représentations renvoient à l’idée reçue que la femme asiatique occidentalisée est forcément travailleuse du sexe, et n’a rien d’autre à offrir qu’un corps, comme souvent stéréotypé dans les films pornographiques.   

Austin Powers dans Goldmember (2002)

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Le corps des femmes asiatiques est souvent fantasmé et idéalisé par les mangas et les films pornos mainstream, mais cette image s’immisce même dans les scènes le plus anodines du cinéma dit "classique". Souvenez-vous des deux sœurs jumelles, dont l’une se nomme Fook-mi ("Fuck Me" ou "Fais-moi l’amour", en français) dans Austin Powers : Goldemember. Dévergondées, cheveux colorés, jupes ultra minis, et petites couettes sexy... elles incarnent le côté exubérant que l’on prête aux femmes japonaises des mangas. Dans le film, Austin Powers leur fait des blagues sexistes à outrance, l’un de ses fantasmes est de coucher avec des jumelles asiatiques alors qu'elles lui prodiguent un massage pour le stimuler.

Taxi 3 (2002)

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Dans Taxi 3 de Luc Besson, l’actrice chinoise Bai Ling joue le rôle de Qiu, la fausse stagiaire japonaise du commissaire Gilbert, dont il est obsédé. Qiu est en réalité la méchante du film, elle use de ses charmes pour séduire le chef et lui voler des données puis "torture" le personnage d’Emilien, interprété par Frédéric Diefenthal, en lui faisant une fellation. Là encore, on perpétue l’image de la femme  asiatique irrésistiblement dominante sexuellement, érotique et froide à la fois, au point que le public éprouve du mal à dissocier le rôle de l’actrice elle-même. Bai Ling fascine le publique français, elle est alors plus reconnue pour son sex appeal que pour son jeu d'actrice.

La mémoire d'une geisha (2005)

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Les films comme Mémoires d'une geisha co-produit par Spielberg, contribuent à rependre un certain nombre de clichés sur la perception de l’activité de geisha. Dans le film, une adaptation du best-seller d’Arthur Golden, on découvre une petite fille arrachée à sa famille pour devenir la légendaire geisha Sayuri. Loin de représenter la réalité des faits, le film porte un regard occidental sur cette tradition d’art et de respect japonaise, qui souffre encore aujourd’hui d’une association à la prostitution. Le film se pétri de stéréotypes sur fond de racisme et de relent colonialiste, reflet d’un mépris occidental sur la culture japonaise. Non, les geishas ne vendent pas leurs faveurs sexuelles à leurs riches clients, c’est une discipline qui est encore aujourd’hui respectée par les Japonais. Souvent imitées par les prostituées pour gagner les faveurs des soldats américains, les geishas souffrent toujours de ce manque d’information sur le sujet.

Mademoiselle (2016)

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Mademoiselle est un thriller psychologico-érotique signé Park Chan-wook, l’enfant terrible du cinéma de genre sud-coréen. Pourtant, ce film qui a été récompensé à Cannes en 2016, perpétue ces poncifs dont certaines femmes asiatiques tentent de se défaire. Le long-métrage raconte l’histoire Sookee, une jeune femme engagée en tant que servante d’une riche Japonaise Hideko, mais qui en réalité est la victime d’un guet-apens pour qu’elle épouse un faux comte à l’aide de Sookee. Si l’histoire semble équilibrée, les scènes sont violentes, on y constate un rapport de domination entre maîtresse et servante, où se noue une forme d’attirance charnelle, ponctuée par plusieurs scènes de sexe, et de nu.

Aujourd’hui encore, les femmes asiatiques pâtissent de cette "Yellow Fever" et paient le prix fort de ces années de surreprésentations erronées dans le cinéma. L’industrie du cinéma a des efforts à faire sur la manière dont elle instrumentalise ces femmes même si elles tendent déjà à changer. À l’heure où le cinéma se morphe vers plus d’inclusivité, le public désire moins de production comme Piccadilly et plus de Grey’s Anatomy, Queens et À tous les garçons que j’ai aimés.

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