Quel politique a le plus de style ?
Attente impatiente pour les uns, anxiogène pour les autres… Les urnes livreront bientôt leur verdict. Doux euphémisme de dire que l’on a peu débattu au cours des derniers mois. Tous camps confondus, dans une campagne minée par les affaires et les petites phrases, la forme a logiquement pris le dessus sur le fond. Et puisque les idées furent relativement absentes, c’est sur l’apparence que les équipes de campagne ont travaillé pour placer leurs champions en situation de conquérir l’Élysée. Le look est devenu le vecteur des idées. Comment, dès lors, apparaître publiquement pour faire passer son message? Quel costume ou quel tailleur porter? À l’heure d’Instagram et de Snapchat, est-il encore judicieux de porter une cravate?
Jadis anecdotiques, ces questions sont devenues centrales dans notre société de l’image. Bon gré mal gré, tout les partis se sont mis à composer avec l’exigence du paraître, même Lutte ouvrière où Nathalie Arthaud, trente-troisième du classement (6,8/20), semble avoir abandonné les couleurs austères pour donner un coup de fouet à sa garde-robe… Une petite révolution!
Macron: jeune et joli
En partenariat avec l’Ifop, L’Optimum a commandé un sondage interrogeant le regard des Français sur le style des personnalités politiques. Ses résultats sont éloquents. Sans surprise, l’échantillon représentatif de 1 500 personnes interrogées est sévère, voire très sévère, avec nos politiciens. Parmi 40 personnalités testées, seul le télégénique Emmanuel Macron obtient la moyenne d’une courte tête (10,2/20). L’enquête vient donc confirmer une tendance lourde : le "newcomer" Macron arrive à fédérer autour de son image tandis que les candidats des partis traditionnels sont à la traîne. Fortement soutenu par les militants du mouvement En Marche ! auprès desquels il obtient l’excellente note de 14,7/20, l’ex-ministre de l’Économie jadis adepte des costumes sur mesure Lagonda enregistre également de beaux scores parmi les militants PS (12,2) mais également chez les centriste du Modem (12,6). Plus qu’honorable, son 11,6/20 recueilli parmi les électeurs LR témoigne d’une vraie dynamique. Comment donc Macron séduit-il ? Président du cabinet MCBG Conseil, Philippe Moreau-Chevrolet nous donne quelques clés : "Macron a un style de “motivational speaker”, de coach d’entreprise. Il se veut neutre, sans signe ostentatoire et dans les codes de l’entreprise. Avec lui, on a un style de jeune cadre que sert une élégance naturelle en plus de sa jeunesse." Loin de son image dangereuse de golden boy, cette synthèse réussie autour d’un style dynamique l’impose en haut du classement des hommes politiques les plus stylés. Auteur de Politique People (Éd. Bréal, 2015), le sociologue Jamil Dakhlia explique la stratégie du candidat Macron : "Il doit rentrer dans la moyenne, afficher un visage homogène, un look sans surprise." Moreau-Chevrolet enchaîne : "Sa contrainte est aussi de ne pas rappeler sa qualité d’ancien banquier. Donc de ne pas lier son image à l’argent. C’est la raison pour laquelle, par exemple, il ne porte jamais sa montre Cartier à des événements ou alors cadran tourné vers le sol : pour éviter “la” photo qui fait mal. Macron a tiré les leçons de ce qui est notamment arrivé à Sarkozy…"
Charisme et éloquence, la recette du succès
Macron surnage tandis que ses petits camarades pataugent… Sur le plan des idées, pour nos gouvernants, surtout les plus anciens, la défiance est omniprésente. Est-ce également le style des hommes politiques que les Français rejettent en bloc ? Nous avons posé la question à Jérémy Collado, chroniqueur
politique à Slate et auteur de Je fais attention à tout, l’histoire du jeune et rusé François Hollande (Éditions La Tengo). Celui-ci est catégorique : "Les Français ne rejettent pas les politiques pour leur style mais plutôt pour leur impuissance. Projets durs et actions faibles, voila ce que sanctionnent les citoyens. On peut être mal habillé et réussir en politique, poursuit Collado. L’inverse est vrai aussi : plus que de style, la politique est affaire de charisme. Il faut pouvoir emmener des troupes derrière soi !" Voilà bien une des grandes leçons de ce sondage Ifop pour L’Optimum : avant d’être "bien habillé", "élégant" ou d’avoir "un physique avantageux", 54 % des sondés estiment qu’il faut avoir "du charisme" et 36 % "une certaine éloquence". Qu’elle ait pris la forme d’une quête de l’homme providentiel ou bien d’un sacre du bon style, cette campagne fut émaillée par la confrontation mode vs politique. Rendonsnous compte : avec ses costumes Arnys offerts par le sulfureux homme d’influence Robert Bourgi, le candidat Fillon a inversé le cours d’une élection qui lui tendait pourtant les bras… "En politique, il faut désormais adopter une approche stratégique du style vestimentaire", estime Philippe Moreau-Chevrolet. La fameuse sortie de Macron invitant un badaud "à travailler pour pouvoir se payer un costard", les efforts répétés d’Alain Juppé pour faire jeune" (y compris en portant la chemise à carreaux, manches retroussées) sans oublier la veste d’inspiration chaviste de Mélenchon, ne sont pas loin de lui donner raison. Trop habillé, souvent engoncé, parfois jm’enfoutiste : le parfait candidat peine à émerger aux yeux de nos concitoyens.
Moderne ou classique, où mettre le curseur ?
Pourtant récemment relookés de la tête aux pieds, François Hollande et Manuel Valls, tous deux cibles du raz-de-marée dégagiste à l’œuvre depuis plusieurs mois, n’ont pas su plaire aux sondés. Dans un entretien à LCI, la journaliste Gaëtane Morin, coauteure du Vestiaire des politiques (Éd. Robert Laffont), expliquait : "François Hollande est un peu “vieille France”. Il ne se préoccupe pas du tout de ses tenues. Pour lui, c’est le fond qui doit prévaloir, pas la forme. Il s’est d’ailleurs fait rattraper par ça. À son arrivée à l’Élysée, les vêtements n’étaient pas un sujet pour lui, il refusait même d’aborder cette question. Et puis la cravate de travers a tellement pollué son début de quinquennat que son message ne passait plus."
Sapés comme jamais, les hyper élégants Fillon et Cazeneuve (respectivement treizième et quatorzième) terminent étonnamment loin du podium. Payent-ils leur affichage bourgeois dans un contexte de crise ? Jérémy Collado répond : "En période de transparence totale et de moralisation, l’heure est à l’uniformisation et à la normalisation. À mon sens, les politiques sont rejetés lorsqu’ils sont trop éloignés des canons de la normalité..." Résultat : ce chic poussé à son paroxysme paraît si lointain que les Français le tiennent pour anecdotique dans le cas du Premier ministre en exercice tandis que le candidat Fillon pâtit, lui, du climat de suspicion qui entoure son vestiaire. Même logique à l’œuvre pour Rachida Dati. Accro aux griffes des grands couturiers, l’ex-garde des Sceaux végète dans les profondeurs du classement, elle est vingt-sixième. À en croire les sondés, la formule idéale demeure la sempiternelle "élégante sobriété". Alain Juppé l’a bien assimilé, lui qui est second du classement avec 9,5/20. Pour les hommes, un maître-mot : gare aux pas de côté ! La formule basique prévaut toujours : un costume bleu bien coupé, ni trop cintré, ni trop vieillot, fera le job. Le constat vaut également pour nos politiciennes. La troisième place surprise de Christine Lagarde (9,1/20) apparaît ainsi comme un coup de tonnerre : dans une époque de pertes de repères, son style à la fois classique et chic rassure. Aux yeux des sondés, la sobriété de ses tailleurs sombres rehaussés de petites touches colorées azur, jaune, rose ou beige fait mouche ! Minutieusement pensé, le look Lagarde ne doit d’ailleurs rien au hasard. En témoigne cette confidence lâchée, en 2010, dans les colonnes de La Tribune : "J’adore la mode, c’est un fleuron français. Ma mère était une couturière hors pair. […]. Elle m’a transmis un sens de l’élégance avec assez peu de moyens, ce qui est assez typique de la Parisienne, telle qu’elle est romantiquement imaginée à l’étranger." Du style aux idées, la communication politique produit décidément ses effets !