Pourquoi il faut absolument voir ce documentaire sur Nan Goldin
Un film passionnant revient sur le combat mené par la photographe Nan Goldin contre d’importants mécènes du monde de l’art : la famille Sackler, qu’elle tient responsable d’une crise sanitaire majeure.
Vous ne le verrez plus, ou moins souvent, ce nom signalant que la famille Sackler a financé telle rénovation de tel musée - on le voyait à la Tate, au Louvre, au Guggenheim de New-York, entre autres institutions culturelles majeures. Il fallait être au fait des arcanes de l’industrie pharmaceutique pour savoir qu’elle doit sa fortune à sa société Purdue Pharma, et notamment à la vente d’opioïdes, dont l’OxyContin, un anti-douleur redoutablement addictif, aisément disponible, qui a fait des ravages et provoqué des milliers de morts. Selon les statistiques données par The Guardian en 2022 (édition du 4 décembre), entre 1999 et 2017, environ 200 000 décès étaient dus à des overdoses médicamenteuses liées à la consommation de ces produits. Un documentaire retrace le combat mené par la photographe Nan Goldin, une des plus fondamentales de son époque, dont la série viscérale The ballad of sexual dependency (Editions Aperture, 2012) est une des plus extraordinaires, singulières, bouleversantes, de l’histoire de la photographie contemporaine, pour que cesse ce mécénat déguisant l’origine sordide de leur fortune. Les interventions des membres de la famille ici sollicités, sont obscènes d’indifférence, révoltantes de mépris. L’appel de détresse aux services d’urgence passé par le père d’une victime, que l’on entend dans le film, d’autant plus déchirant. S’il est passionnant, c’est par son dispositif, mêlant sa lutte opiniâtre, dont les ressorts intimes sont puissants (longtemps toxicomane, Goldin était sobre avant de retomber dans l’addiction aux opioïdes, suite à une opération) et un retour sur son parcours artistique, avec intelligence, empathie, à l’image de ces portraits qui ont fait d’elle une figure emblématique de la photographie. Ce délicat équilibre, entre pudeur et impudeur, détermination et fragilité, peut se regarder autant comme un éloge de la lutte contre l’injustice que celui d’une femme qui, jamais, ne cédera face au déterminisme pour rester une artiste irréductible.
Toute la beauté et le sang versé. Un film de Laura Poitras. En salles le 15 mars.