Pourquoi la Suède est toujours le paradis du design
Auteur Laurent-David Samama
Photographe Olivier Amsellem
Dynamiter les codes
Alors que nous rejoignons les faubourgs verdoyants de la ville, Michael Persson Gripkow se lance dans une analyse sociologique du design à la suédoise : “Il y a désormais à l’œuvre une volonté de casser l’image, de passer à une nouvelle ère. L’immigration nous a apporté beaucoup d’inspirations, un regain d’énergie… qui infuse désormais tous les champs de la création, et bien évidemment, l’art.” Pour s’en assurer, il suffit d’entrer dans l’atelier de l’artiste Frida Fjellman, à Hägersten. Présente au dernier Art Basel de Miami avec son installation Crystal Atmosphere, la jeune femme incarne la fine fleur de la création artistique locale. Son objectif ? Dynamiter les codes en proposant des suspensions oniriques aux formes souvent arrondies, globuleuses et colorées, là où le design suédois a toujours affiché un goût prononcé pour les figures géométriques strictes. Elle raconte : “En arrivant à l’école d’art, j’ai vite compris qu’il y avait un tas de règles non écrites qui brimaient la créativité et installaient, de fait, une certaine esthétique de la rigueur. On me freinait sans cesse dans mes élans. Cet état d’esprit n’a plus cours aujourd’hui. On préfère repérer les talents et les laisse vivre !” Cet automne, Frida Fjellman et ses œuvres voyageront vers Paris pour célébrer la réouverture de l’Institut suédois de la capitale. Pour l’occasion, elle a travaillé tout l’été à l’élaboration d’une mystérieuse et spectaculaire Pink Marie-Antoinette de six mètres de haut. Autoproclamé “naïf”, “pas prétentieux” et “désarmé”, l’art de cette jeune créatrice s’exporte désormais aux quatre coins de la planète. Si l’élite locale se démène pour changer notre regard sur le design suédois, que l’on se rassure, les fondamentaux ne sont jamais loin !
Le registre de l’émotion
Preuve en est la visite que nous rendons à l’orfèvre Olle Olls, qui partage un vaste atelier avec d’autres artisans au cœur d’une rue huppée du centre de Stockholm. L’artiste oscille, selon l’humeur, entre deux directions. Soit un travail brut de la matière qui produit des sculptures jouant sur le registre de l’émotion. Soit un travail minutieux sur des coupelles et autres vases aux reflets dorés que l’on croirait tout droit sortis de l’Antiquité. “Ce type d’artisanat oblige à mener une réflexion sur le temps qui passe, explique-t-il. Ici, rien n’est rapide, on met parfois plusieurs semaines pour arriver à sortir la pièce idéale. Il y a un certain esprit ancestral qui se traduit concrètement par le travail avec le marteau. Il s’agit d’une technique en voie de disparition en Europe. Par conséquent, elle devient unique, précieuse.” Au fil des rencontres qui s’enchaînent, nous prenons la mesure de cette tension constante entre modernité et tradition, leitmotiv des œuvres aperçues. Une dualité pensée comme un défi à l’heure de la mondialisation.
Au même titre que les expérimentations d’Olls et de Fjellman, cette quête du Graal nordique pourrait bien être également celle du chef Magnus Ek, deux étoiles au Michelin. Dans son restaurant Oaxen Krog & Slip, gentiment niché dans un recoin de l’île de Djurgården, ce dernier sert des plats qu’il décrit “simples et goûtus”. “Ici, détaille-t-il, rien de compliqué ! Je travaille autour de notions comme le partage, le local et surtout la saveur. En venant au Oaxen, on doit se sentir comme chez des amis, c’est notre volonté de départ. Il faut que ce soit sincère et moderne.” À table, cela se traduit par une carte cohérente déroulant ses harengs fumés, tartares de viande de renne, légumes du jardin et viande de bœuf vigoureusement persillée. Mais surtout, on y retrouve ce mélange désormais signature de techniques ancestrales (ici, le fumage des viandes et des poissons) reboosté par des touches ultracontemporaines. Une aventure en soi.
Cap au nord
Après Stockholm, le Grand Nord nous tendait les bras. Deux heures d’avion plus tard, atterrissage à Kiruna, en Laponie suédoise. Une fois sortis de l’aéroport minuscule, nous découvrons des rues à la Twin Peaks et des forêts majestueuses où le silence règne en maître. Difficile, dans ces conditions, de repérer un élément de modernité en ce lieu situé à 150 kilomètres au nord du cercle polaire. Pourtant… sous le soleil de minuit, nous nous retrouvons face au Solar Egg, œuvre époustouflante signée par les architectes Bigert & Bergström. Cette installation est composée d’un intérieur en bois de pin et d’une soixantaine de panneaux dorés modulables pour l’extérieur. En son sein, un sauna à la chaleur enveloppante – ou comment relooker le loisir immémorial des Suédois dans un élan futuriste. Un symbole, presque trop évident, entre art de vivre et culture futuriste.
* Réouverture le 21 octobre. https://paris.si.se/