L'Officiel Art

Benjamin Loyauté investit le Palais de la Porte Dorée

A partir d’un objet banal, un bonbon, Benjamin Loyauté a tissé un récit dense et prenant, illustré par un film, une installation et des sculptures. Cette commande de Rubis Mécénat s’incarne en une exposition – placée sous le commissariat de Gaël Charbau –, tenue dans le dynamique Musée de l’Histoire de l’immigration du Palais de la Porte Dorée. A voir sans tarder.
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L’OFFICIEL ART : “L’expérience de l’Ordinaire”, votre première exposition en France, s'inscrit dans un travail d'ensemble débuté il y a quatre ans, autour de ce qui constitue “l'héritage immatériel” auquel les sociétés n'accordent pas ou plus d'importance : qu’est-ce qui a motivé ce sujet d'étude ?

BENJAMIN LOYAUTE :Depuis plus d’une douzaine d’années je m’intéresse à la force de langage des objets, à leur histoire et à la charge sémantique ou narrative qu’ils portent, à leur phénoménologie. Il y a le réel et ce que nous voyons du réel. L’immatériel, lui, est invisible au premier abord, il constitue pourtant le quotidien de nos vies. Je crée mes œuvres comme je crée des objets transmetteurs, des objets-mots qui intègrent le réel pour justement augmenter notre capacité à voir cet immatériel non “instagramable”. Mes premiers voyages en France, en Chine, au Bénin, en Syrie et au Japon ont constitué la matrice de mes recherches sur les objets magiques. L’installation matérialise cet invisible. Je remets en cause notre perception des choses et nos attentes pour inviter à voir au-delà de la physicalité des objets et pour tenter d’atteindre non seulement nos individualités mais aussi le collectif qu’il touche et rassemble.

Installation, sculptures et film sont le support de votre récit : comment les mettez-vous en dialogue ?

Je m’affronte à ma propre méthode, celle de réaliser une œuvre évolutive composée comme un livre, en chapitres, et dont je ne connais pas encore l’ensemble des futurs chapitres. Il n’y aura pas de fin tant que je pourrais continuer à “écrire”. C’est un récit auquel j’ajoute donc l’alchimie du réel mais il y a également une part spontanée, automatique dans ma manière d’écrire. C’est un peu comme une fable sans fin dont la fonction serait d’agir sur le réel pour augmenter notre capacité à voir ce réel. Je “charge”, au sens magique du terme, mes installations. Chaque œuvre fait partie de la narration. Il s’agit pour moi de passer la porte de nos habitudes pour accéder à la possibilité d’un monde spéculaire, un espace autre, un contre-espace ouvert qui invite à revoir nos certitudes. Vous parlez de dialogue, preuve que les œuvres ont un langage. Un récit rassemble différents tableaux, différentes scènes, situations : eh bien mes médiums composent cette narration, je ne souhaite pas me contraindre à un seul médium. L’idée d’un art multipotentiel m’intéresse, à la manière des humanistes de la Renaissance.

 

Comment avez-vous appréhendé l’architecture du Palais de la Porte Dorée, édifié dans les années 1930, qui peut se révéler complexe d'usage pour un artiste ?

Effectivement, c’est une antithèse du white cube. Le défi fut d’autant plus intéressant… la contrainte est créative. Le lieu est chargé d’histoire, le bâtiment est classé, j’ai choisi de ne pas m’imposer mais de correspondre avec lui. Ma machine à Dispersion devient ici l’axis mundi d’un monde partageable. Elle prend en compte les fresques sur les continents qui l’entourent. Placée dans le Forum du musée, haut d’une vingtaine de mètres, ma machine a nécessité un important travail technique. C’est une œuvre monumentale qui a une force tangible et magique avec les messages du monde entier qu’elle renferme. Elle est prête à voyager.

Portrait de Benjamin Loyauté, © Dylan Perrenoud.

Votre activité initiale est le design, comment votre parcours professionnel et personnel, notamment vos nombreux voyages, irriguent-ils votre travail ?

Mon travail a toujours consisté à rédiger, conter ou fabriquer des histoires pour impacter le réel. Mes recherches sur les objets, leur magie, leur pouvoir, leur rôle dans la société m’ont conduit, de manière naturelle, à évoluer vers un travail artistique. Je façonne un livre d’œuvres qui parlent et agissent. Un objet présente une valeur d’usage et une valeur symbolique, je me suis souvent penché sur le symbole, l’affect, la mémoire, la narration, la force illocutoire et perlocutoire des objets. A la manière des poupées russes, mon activité consiste à ouvrir les boîtes pour découvrir où cela me mène. Je vis l’avenir en parlant d’histoire car j’ai crée mon propre temps à travers mon travail. Qui cherche, trouve… j’ai trouvé un monde spéculaire, une “écriture en miroir” qui évolue avec le temps.

 

Quels échanges avez-vous eus avec Rubis Mécénat cultural fund, commanditaire de cette œuvre ?

Il est assez rare qu’un mécène fasse confiance à un jeune artiste pour assurer la réalisation d’une œuvre d’envergure dans un musée complexe à investir. Je n’avais jamais exposé mon travail à Paris ni présenté en France mon film Le Bruit des bonbons : c’est chose faite grâce à Lorraine Gobin, directrice de Rubis Mécénat. Avec ce mécène, j’ai pu travailler le fond avant la forme et sans ingérence. Je souhaite à tous les artistes de pouvoir bénéficier de cette opportunité.

 

Benjamin Loyauté, “L’expérience de l’ordinaire”, commissariat par Gaël Charbau, du 6 au 28 octobre, Palais de la Porte Dorée, Musée national de l’histoire de l’immigration, 293, avenue Daumesnil, 75012 Paris. Les dimanches de 14h à 18h, Benjamin Loyauté est présent au Palais de la Porte Dorée pour des rencontres avec les visiteurs.

rubismecenat.fr ; palais-portedoree.fr

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