Egon Schiele / Jean-Michel Basquiat : la rage de vivre et de mourir
Sur la confrontation avec l’œuvre d’Egon Schiele
Une reproduction trompe et peut choquer. Une œuvre, jamais. C’est la raison pour laquelle c’est formidable de pouvoir montrer ce travail. L’exposition des œuvres et l’exposition aux œuvres atteint totalement différemment. En effet, dans le contact avec l’œuvre elle-même, il y a quelque chose de corrosif. Pour ma part, depuis toujours, lorsque je regarde Schiele je ressens le caractère électrique, nerveux de ses dessins. Il développe une vision d’une intrépidité et d’une rigueur implacables, en premier lieu vis-à-vis de lui-même. Il “regarde”, et c’est un regard qui scrute jusqu’au plus profond, quels que soient les interdits qui prévalaient alors. Il dépeint la sexualité la plus frontale, pour laquelle il éprouve à la fois curiosité et effroi, mais à mes yeux il est évident qu’il s’agit d’un regard porté d’abord sur lui-même, sur les femmes auxquelles il s’identifie. Les portraits sont terrifiants dans ce qu’ils disent de la façon dont il se scrute lui-même. Rappelons que la Vienne de 1900 est aussi celle de la découverte des travaux de Freud. Une période de très grande effervescence dans tous les domaines : artistique, architecture… Le regard de Schiele se pose ainsi sur un monde de pré avant-garde, puis de guerre. Chez lui comme chez Basquiat, on assiste à une extraordinaire fulgurance.
Sur le contexte du New York des années 1980
Il faut se souvenir que la ville était alors en proie à une grande pauvreté, des quartiers entiers étaient laissés à l’abandon, les populations y (sur)vivaient dans des bâtiments insalubres où toutes sortes de trafic avaient cours, rendant l’existence extrêmement difficile. J’ai un souvenir précis de l’exposition de Basquiat tenue alors dans un sous-sol du Bronx, je m’y étais rendue avec la photographe Renate Ponsold, l’épouse de Robert Motherwell. Les trottoirs défoncés étaient jonchés de détritus, il était fréquent de voir des voitures brûlées… Basquiat n’a pas peint la rue, il “est” la rue, il est l’énergie de la rue. Il l’a transfigurée dans des scènes, des atmosphères. Quelque chose de très profond.
Sur la rue comme atelier, le verbe et la note de musique chez Basquiat
C’est consubstantiel. Basquiat est un artiste plasticien de même qu’un poète et un musicien. Il ne faut pas oublier combien ces dimensions sont présentes chez lui et dans ses œuvres. Son terrain d’observation est la rue, il en extrait la substantifique moelle. Il absorbe tout et tout fait œuvre. Mais le “privé” est toujours là, comme dans Arroz con pollo où surgit quelque chose de l’ordre de l’intime, qui illustre sa relation avec Suzanne Mallouk.
Sur les corps
Un événement l’a beaucoup marqué : l’accident de voiture dont il a été victime enfant. Durant son hospitalisation, sa mère lui a offert un livre d’anatomie, il a alors longuement observé l’incroyable mécanique du corps humain, qu’il maîtrisait parfaitement.
Sur la tension musicale de l’œuvre
Tout entre dans l’improvisation, c’est une chose très importante. Ses grands héros sont les musiciens et les boxeurs. Improviser et anticiper. Basquiat était un esprit très cultivé, et sa culture c’était la Bible, la culture vaudou, l’art égyptien, les grands classiques de la Renaissance, mais aussi Picasso, Matisse... jusqu’à Dubuffet, Cy Twombly en passant par Robert Rauschenberg.
Sur le succès foudroyant, la rage de vivre et de mourir
Il était très marqué par la réalité de la rue. Et après des années de dénuement, il a rencontré un succès quasi effrayant. Tous les galeristes se sont rués sur lui. Ce phénomène a été majoré par son rapport avec Andy Warhol qui était fasciné par son côté prolifique, ce talent extraordinaire, cette virtuosité.C’est là aussi un point commun entre Basquiat et Schiele : le premier était très proche de l’emblème du pop art, le second avait une figure de tutelle, c’était Klimt.
“Egon Schiele” ; “Jean-Michel Basquiat”,
Fondation Louis Vuitton,
du 3 octobre 2018 au 21 janvier 2019,
www.fondationlouisvuitton.fr