Fondation Louis Roederer : un engagement renforcé
À lui seul tout un monde. Amplitude d’un territoire où se jouent complexité, précision, hardiesse. Si profondément enraciné, mais leste à décrire d’infinies nuances. Empruntant au geste minutieux et patient de l’horloger. Lisant dans la terre et le ciel comme à livre ouvert. Assemblant, à la manière du peintre, différentes tonalités de paysages. Symphonie minérale jouée au long de quelque deux siècles et demi. En ces terres de Champagne hautement convoitées, demeurant parmi les rares musiques chorales à être interprétées en famille. A la manière d’un clan élargi autour de l’unité cellulaire. Tant il semble que rejoindre la Maison Louis Roederer incite celles et ceux qui la composent à s’y exprimer de longues années. Aujourd’hui autour de Frédéric Rouzaud, avant lui autour de son père, Jean-Claude Rouzaud. Lui-même dans le sillage d’une figure de force, de conviction. Et de discrétion. Car, en ce domaine de la vigne, s’il existe des femmes promptes à s’afficher sur étiquette, elle ne sera pas de celles-là. A l’orée des années 1930, Camille Olry-Roederer, au sortir d’un veuvage précoce, décide vent debout de préserver la Maison, quand il lui eut été loisible de vivre grand train à Reims, à Paris ou ailleurs. Londres, peut-être, ou New York : le champagne Louis Roederer y sublimait déjà la table des bienheureux, après avoir séduit la cour du tsar Alexandre II de son exceptionnelle cuvée Cristal. Alors, choisir une échappée cousue de fil d’or ? Impensable pour cette femme de devoir. L’heure sera à consolider les fondements de la Maison, faire porter plus loin encore sa voix unique. A force d’intelligence et de mesure. “Si j’incarne la septième génération, j’ai conscience de n’être que le messager d’un projet, le passeur d’un patrimoine. Considérant, comme mes prédécesseurs, que ce patrimoine ne nous appartient pas vraiment, mais qu’il est de notre mission de tout mettre en œuvre pour le rendre plus exceptionnel encore”, indique Frédéric Rouzaud. Si la nature donne le tempo, le chef de cave – dans l’éminence et la complexité de son rôle –, veille à la justesse de la signature de la Maison, au maintien de son intangible empreinte gustative. La tâche revient ici, et depuis 28 ans, à Jean-Baptiste Lécaillon.
Il appartiendra aux détenteurs du legs de rechercher et convoquer les valeurs qui activent un monde du vin lumineux, créatif. “Agir pour que Louis Roederer et la fédération d’artisans que l’on a rassemblés autour brillent dans sa catégorie en Champagne, et exprime sa vraie singularité”, souligne Rouzaud. Dans une maison qui s’accorde le temps de la réflexion, la retenue est une valeur-force. La question essentielle de la qualité des vignobles et des nectars étant résolue, la maison pouvait songer à s’évader sur les territoires de la création…
“A mon arrivée chez Louis Roederer, en 1998, ce qui m’a frappé est l’extrême beauté et rigueur du travail qui y est réalisé”, indique Michel Janneau, mais son motif en matière d’outil de communication résidait dans le prolongement d’actions de générosité, qui sont aussi des moyens sobres et intelligents de faire parler de soi.” Faire et faire savoir, mais en mode minimaliste et, toujours, dans la continuité. La Maison Louis Roederer ne s’était-elle pas déjà inscrite dans le champ du mécénat, versant philanthropie, en offrant un immeuble rémois aux fins d’y accueillir un hôpital ? Le don, pour d’aucuns nimbé de suspicion, est ici pleinement motivé par l’envie, le désir, les inclinations personnelles. Ainsi, Jean-Claude Rouzaud, féru d’histoire et de littérature s’engage-t-il pour financer la recherche de l’avion de Saint-Exupéry. Si cette quête resta vaine, la statue de Vivia Sabina, en revanche, a aujourd’hui, grâce à l’assiduité de la Maison champenoise, rejoint les collections du musée du Louvre.
Les actions sont nobles dans l’intention, mais manquent de cohérence. Et là survient ce qui deviendra la définition du mécénat selon Michel Janneau : “une façon d’embellir les coïncidences”. Lors d’un dîner, il apprend par un conservateur que dans les réserves de la BnF sommeille une magnifique et considérable collection de photographies, que l’institution n’a pas les moyens d’exposer, tous les budgets étant alors accaparés par le projet du site de Tolbiac. “Il s’est agi pour moi, sur l’instant, et avant même d’avoir vu les photos, d’un véritable coup de foudre intellectuel”, souligne Michel Janneau. “En un aller-retour éclair à Reims, je convaincs Jean-Claude Rouzaud que nous devons devenir les mécènes de cette opération au prix d’un chèque historiquement le plus important que la Maison ait signé en matière de communication.” Cette rapidité de décision aura permis d’engager un partenariat qui dure maintenant depuis plus de treize ans. “A l’aune d’une amitié croissante avec la BnF et ce qui l’anime.” Ainsi, la galerie Mazarine, au cœur de l’édifice de la rue de Richelieu, est restaurée pour devenir l’écrin des expositions soutenues par Louis Roederer, au rythme de deux par an. En 2010, Frédéric Rouzaud succédant à son père, recevait des mains du ministre, les insignes de “Grand Mécène de la culture”. Le moment était venu de considérer la pérennité du travail accompli. L’année suivante, la Fondation Louis Roederer était créée. De son incursion initiatique dans la photographie, la Fondation va naviguer vers d’autres domaines artistiques, au rythme d’échanges avec Bruno Racine, dont “la formidable ouverture d’esprit invite notre regard à se porter sur l’art contemporain”, rappelle Michel Janneau.
Le facteur humain, toujours… une longue conversation avec Jean de Loisy et une commune affection pour Jean-Michel Alberola incitent la Fondation à être le mécène de la Chambre des Instructions. Ce seuil franchi, la Fondation adopte un rythme soutenu, devenant rapidement mécène du palais de Tokyo rouvert depuis peu. “Il nous a fallu un temps pour passer des salles de lecture de la BnF au pétillement chronique du Palais de Tokyo”, indique Michel Janneau. Mais le ton est donné : forte complicité, humour, partage. Et heureuse concomitance. Ex-directrice générale adjointe de la BnF, Valérie Vesque-Jancard, nommée alors directrice générale déléguée de la RMN-Grand Palais, informe Michel Janneau du projet de création d’une galerie de photographie au cœur du Grand Palais, et sollicite le soutien de la Fondation… “En accordant notre mécénat à cette troisième institution parisienne, nous avons eu le sentiment de dessiner un triangle autour d’une scène forte, créative, qui nous plaît”.
A ces trois piliers s’ajoute un soutien à des festivals : le festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence ou encore le jeune Festival de photographie Planche(s) Contact de Deauville. La cohérence des choix et la cohésion interne de Louis Roederer laissent ainsi à présager de nouveaux engagements auprès de la création contemporaine.
“Il est important que le mécénat privé soit accompagné d’un écho. C’est la clé de la pérennité. Etre mécène tout comme être mécéné sont des choses qui s’apprennent. Il s’agit là d’un rapport de bonne intelligence. Le mécène doit être entretenu dans une forme de culture par une information sur les œuvres envisagées, les travaux de scénographie... Il s’agit là d’un processus d’adoption mutuelle qui nécessite une infinie patience et modestie. Le mécénat n’est pas qu’un budget, il est une prise de conscience”, indique Michel Janneau. La 25e édition du Prix Montblanc de la culture 2016 en France a été attribuée à la Fondation Louis Roederer.
Cet article est initialement paru dans L'Officiel Art de septembre 2016.
À VOIR
“Prince.sse.s des villes”, du 21 juin au 9 septembre, Palais de Tokyo, Paris.
Rencontres de la Photographie, Arles, du 1er juillet au 22 septembre.
Festival du Cinéma américain de Deauville, du 6 au 15 septembre.
“Toulouse-Lautrec, Résolument moderne”, Grand Palais-Paris, du 9 octobre 2019 au 27 janvier 2020.