L'Officiel Art

“Le soutien de Fendi aux projets d’art est authentique” Pietro Beccari

Fendi est l’une des rares maisons de mode à s’être investie de façon concrète dans le soutien à l’art contemporain, mais également la préservation et la transmission du patrimoine artistique et architectural de la ville de Rome, où elle a été fondée en 1925. A l’occasion de son soutien à l’exposition Le Bernin à la Galleria Borghese et à la création de l’Institut de recherche sur Le Caravage, L’Officiel Art a rencontré Pietro Beccari; ex-P.-d.g. de Fendi, initiateur des projets; et Anna Coliva, directrice de la Galleria Borghese.
painting art person human

Propos recueillis par Yamina Benaï

 

L’OFFICIEL ART : Les liens de la Maison Fendi avec l’art sont inscrits de longue date à travers les inspirations des collections puisées auprès des artistes de son temps, mais depuis l’installation des bureaux de la griffe dans le Palazzo della Civiltà Italiana, on observe une accélération. Expositions d’ampleur librement ouvertes au public et, dans le prolongement de celle consacrée à Giuseppe Penone, le don à la ville de Rome d’une œuvre de l’artiste installée sur la voie publique... Quel a été le moteur de votre attention redoublée pour l’art ?

PIETRO BECCARI : Au-delà de l’art stricto sensu, nous portons un regard sur la création, dont le design et le cinéma. Aujourd’hui, une maison de luxe ne doit pas – à mon sens – s’intéresser uniquement à la mode mais porter attention à tout ce qui peut ; par sa beauté et sa pertinence ; représenter une source d’inspiration. En outre, nous souhaitions continuer à tisser les liens de notre proximité avec Rome. Cette ville – par son histoire, son esthétique, sa singularité et ses croisements réussis entre passé et présent – accueille un très grand nombre de visiteurs, elle exerce une influence très positive, une dynamique également bénéfique pour la maison Fendi. Autant de valeurs proches de nos idéaux.

 

Fondée à Rome en 1925, la maison Fendi a traversé les périodes et mouvements artistiques forts du XXe siècle : en développant une expertise sur le travail de la fourrure, elle a su adapter et moderniser ce matériau, tissant des frontières entre artisanat d’art et art tout court.

Il est vrai que dans les ateliers de la maison, certaines pièces peuvent s’apparenter à des œuvres d’art contemporain ! Les artisans sont de véritables artistes : ils esquissent des croquis en 2D qu’ils adaptent ensuite en 3D, c’est la raison pour laquelle il est important pour nous de continuer à accueillir et promouvoir ces jeunes artisans/artistes. Notre amour pour la beauté et la culture s’exprime également de cette façon.

“Fendi se doit d’être l’ambassadeur de la beauté de Rome dans le monde entier : tel est l’un de nos messages forts.” Pietro Beccari

Avec le Caravaggio Research Institute, vous allez encore plus loin dans votre soutien puisque votre engagement porte sur trois années avec, d’une part l’exposition itinérante consacrée au maître italien, notamment présentée au Getty Musem, d’autre part, l’accompagnement auprès de la Galleria Borghese dans le cadre d’expositions mais aussi du projet d’archivage et de mise à disposition des chercheurs de données sur le peintre: qu’est-ce qui a motivé vos choix ?

En premier lieu, nous souhaitions inscrire des projets sur le long terme. Projets sous-tendus par une intention forte, car il ne s’agit pas ici d’un soutien dans le cadre d’une exposition temporaire, c’est précisément la raison pour laquelle nous nous sommes liés au Getty Museum pour les trois prochaines années. Ce projet de création d’un centre de recherche est très ambitieux, et je pense qu’il est important de faire connaître partout dans le monde cet extraordinaire musée qu’est la Galleria Borghese, qui possède une collection unique en son genre. Notre implication est due également au choix du Caravage, figure essentielle dont l’héritage artistique est caractérisé par sa capacité à innover, surprendre, provoquer... tous ces paramètres nous intéressaient. Aussi, lorsque la Galleria Borghese nous a présenté ce projet, nous y avons immédiatement adhéré. Par ailleurs, la possibilité de promouvoir le travail de cet artiste en l’exportant à l’étranger représentait une expérience passionnante. En d’autres termes, nous ne pouvions pas résister au Caravage !

Au-delà de votre regard attentif sur l’art, votre démarche relève aussi de la volonté de faire rayonner la ville de Rome et l’art italien en général au plan international, initiative que vous aviez amorcée avec la rénovation de la fontaine de Trevi (2013-2016).

Nous nous devons d’agir pour la beauté infinie qu’abrite la ville de Rome et qui, hélas, n’est pas mise en valeur à son optimum. Il suffit de sillonner les rues et ruelles pour observer combien son patrimoine est délaissé, voire en péril. Aussi, nos initiatives permettent de présenter le travail de restauration du patrimoine culturel que Fendi met en place à Rome, comme sur la fontaine de Trevi et, durant l’année 2018, dans le cadre de quatre autres fontaines. Fendi se doit d’être l’ambassadeur de la beauté de Rome dans le monde entier : tel est l’un de nos messages forts. Pietro Beccari

 

L’exposition inaugurale de votre partenariat avec la Galleria Borghese (consacrée au Bernin) incite à faire un rapprochement entre ce grand maître du baroque et l’esprit communément attribué à Fendi, à savoir une maison de luxe à l’élégance classique mais très novatrice dans le travail des matières et des lignes. Tout comme Le Bernin a contribué à enrichir le vocabulaire de l’architecture et de la sculpture de formes nouvelles ?

En effet, nous apprécions ces associations. C’est aussi ce qui nous a encouragés à soutenir l’exposition de Giuseppe Penone, présentée au Palazzo della Civiltà Italiana durant l’hiver et printemps 2017. La capacité de Penone à faire ressembler les matériaux à ce qu’ils ne sont pas – comme dans son utilisation du bronze ou du marbre pour simuler le bois –, sa manière de transformer les matières se rapproche de ce que la maison Fendi a pour tradition d’accomplir avec les fourrures. Dans le cas du Bernin, il s’agit également d’une histoire de famille, avec un savoir-faire transmis de père en fils, de génération en génération, à l’instar de ce qui s’est passé de façon très similaire dans l’histoire de la maison Fendi. Nous pouvions ainsi établir plusieurs parallèles.

“Fendi a démontré sa capacité à être présent lorsque la ville de Rome en avait besoin, et la maison continuera à l’être pour soutenir des projets avec profondeur et authenticité.” P.B.

Vos initiatives illustrent le rôle que le privé endosse de façon de plus en plus dynamique dans l’accompagnement de projets artistiques et la préservation du patrimoine culturel, face aux acteurs du public de plus en plus en retrait : comment voyez-vous l’évolution de Fendi en la matière dans les années à venir?

Je pense que Fendi a démontré sa capacité à être présent lorsque la ville de Rome en avait besoin, et la maison continuera à l’être pour soutenir des projets avec profondeur et authenticité. Nous devons évidemment nous positionner sur des projets compatibles et cohérents avec l’image de la marque. Il est évident que l’Etat italien est en difficulté : contrairement à la France, en Italie, l’idée est communément admise que le contribuable paie des impôts pour des projets autres que la culture. A titre personnel, je trouve que la culture est l’une des plus grandes richesses de notre pays. En apportant notre soutien, nous aidons les artisans et les petites entreprises qui travaillent autour de ces domaines du luxe, de la mode et de la culture. Etre généreux, faire preuve d’ouverture d’esprit, fait partie de la culture italienne, romaine. La démarche de Fendi est authentique, très liée à ce que représente Rome et à une volonté de faire connaître au monde sa beauté et ses richesses.

Anna Coliva – directrice de la Galleria Borghese

L’OFFICIEL ART : Quel regard portez-vous sur cette institution italienne qu’est la Galleria Borghese, écrin de chefs-d’œuvre de la sculpture et de la peinture classiques ? 

ANNA COLIVA : Il y a deux ans, de grandes réformes sont intervenues, rendant totalement autonomes les grandes institutions muséales du pays. Dès lors, il nous a été possible de décider de la ligne directrice du musée, d’en contrôler la programmation ainsi que la conservation et la restauration. Ce nouveau modus operandi permet de mener des projets ambitieux et d’intervenir de façon efficace sur la restauration des œuvres. La Galleria Borghese abrite des œuvres très importantes qui constituent une collection considérée historiquement comme la plus belle au monde, jusqu’à l’acquisition ordonnée par Napoléon de près de 500 sculptures, désormais conservées au Musée du Louvre. La majeure partie des chefs-d’œuvre du département archéologique du Louvre est issue de la collection Borghese. Le premier objectif a donc été de trouver les moyens de rendre chaque salle du musée plus vivante et vibrante. Car en Italie, on n’observe pas cette tendance qu’il peut y avoir en France, de se rendre plusieurs fois dans le même musée. La Villa Borghese ne manque pas de visiteurs, mais ce sont souvent des touristes étrangers, des spécialistes. Aussi, il me semble que l’une de nos missions auprès des habitants de la ville est de créer des situations qui les incitent à revenir au musée. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité réaliser chaque année une très grande exposition qui permettrait une redécouverte du musée, de son histoire, de ses œuvres, afin que la collection soit appréhendée via différents points de vue. Nous avons ainsi réalisé des expositions classiques, telle “Borghese e l’Antico” (2011-2012), en partenariat avec le musée du Louvre, qui reconstituait la collection ancienne avant les acquisitions de Napoléon. Nous avons également proposé des expositions d’art moderne ou mêlant parfois l’historique, comme l’exposition sur Giacometti (2014), ou “Caravaggio-Bacon” (2009-2010). Chaque exposition est ainsi l’occasion de déplacer l’angle d’approche.

“Si la Galleria Borghese a toujours bénéficié de soutiens, réaliser cette collaboration avec Fendi nous a permis d’être beaucoup plus forts dans l’ambition de cette exposition.” Anna Coliva

Cette année marque un partenariat d’envergure entre la Galleria Borghese et la maison Fendi, comment se sont déroulés les différents échanges qui ont permis la concrétisation de cet important soutien inscrit dans un programme triennal, urbi et orbi puisqu’il a trait aux expositions in situ et à l’exposition itinérante consacrée au Caravage? 

Si la Galleria Borghese a toujours bénéficié de soutiens, réaliser cette collaboration avec Fendi nous a permis d’être beaucoup plus forts dans l’ambition de cette exposition : grâce à ce partenariat nous pouvons envisager des projets plus conséquents, plus complexes. En outre, Fendi a manifesté le désir de soutenir un projet de recherche ce qui est, en soi, encore plus difficile que de financer une exposition de grande envergure. S’engager ainsi sur un projet conséquent de recherche ne peut être réalisé que par une maison qui a fortement développé son pôle recherche, et l’un des grands succès de la maison Fendi à ses débuts était précisément le travail sur les matériaux, la réinvention de la fourrure d’une façon totalement inédite. Habituellement, nos expositions ne sont pas itinérantes, mais nous présentons cette exposition du Caravage au Getty Museum de Los Angeles. Ce musée dispose d’un grand laboratoire de recherche, notamment sur des plateformes numériques d’étude des œuvres et de l’histoire de l’art. C’est à ces fins d’étude et d’archivage numériques que nous avons choisi le Getty Museum. A l’avenir, nous nous laissons la liberté de travailler avec d’autres lieux qui nous sembleront importants pour diffuser la connaissance du Caravage.

Parmi les aspects de l’accompagnement se trouve le développement du laboratoire dédié à l’étude du Caravage et à la préservation de ses œuvres : quelles sont les composantes de ce projet international et comment s’organise-t-il, notamment au regard du matériel de haute technologie destiné à la restauration des œuvres ?

La conservation des œuvres est une conséquence du développement de ce laboratoire, car le centre prévoit une restauration de tout l’œuvre du Caravage. Il existe peu de laboratoires d’analyse dédiés à l’art dans le monde (Rembrandt Research à Amsterdam, Cranach Research à Heidelberg...), aussi notre laboratoire dispose-t-il d’une archive complète sur la vie du Caravage, sources anciennes et modernes comprenant des photos d’œuvres, des bibliographies... Toutes les analyses et les diagnostics sont réalisés à l’aide des moyens les plus sophistiqués pour étudier les matériaux et la technique utilisée, de façon à pouvoir ensuite déterminer une datation, voire l’authenticité d’une œuvre. Ce qui est très innovant ici, c’est que tous les documents sont scannés afin d’en conserver une copie digitale. De plus, nous mettrons en place des partenariats avec des universités italiennes et étrangères afin que des doctorants puissent accéder à ces données.

“Si les grands patrons de la mode n’avaient pas commencé à acheter de l’art contemporain, il n’y aurait pas aujourd’hui autant de collectionneurs. Ces maisons ont eu la capacité de rendre la culture désirable.” A.C.

On observe une présence crescendo des grandes maisons de mode auprès des institutions et des municipalités dans le domaine de la culture. Dans le cas de Fendi, le soutien s’amplifie et se consolide : en tant que directrice d’une institution culturelle, comment percevez-vous
la part grandissante du privé en la matière ?

Ce nouveau mécénat est toujours réalisé par des grandes maisons de mode, qui sont devenues non seulement des puissances économiques mais aussi et surtout de véritables guides de la pensée contemporaine. Si les grands patrons de la mode n’avaient pas commencé à acheter de l’art contemporain, il n’y aurait pas aujourd’hui autant de collectionneurs et la Galleria Borghese n’aurait pas connu le succès qu’elle rencontre depuis ces dix dernières années. Ces maisons ont eu la capacité de rendre la culture désirable. Cela n’est pas seulement dû à l’apport financier mais aussi à la manière dont, par leur influence, elles ont modifié la façon de penser. En Italie, par exemple, les banques apportent depuis longtemps leur soutien à la culture et disposent d’importantes collections d’art. Mais, contrairement aux banques, les marques de mode possèdent aussi la puissance de la pensée et du goût. C’est ce qui a marqué la grande (r)évolution de l’art contemporain.

 

 

http://www.galleriaborghese.it
https://www.fendi.com/fr

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Le Bernin.
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Le Caravage.
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Façade de la Galleria Borghese.
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La Galleria Borghese par Johann Wilhem Baur.

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