L'Officiel Art

Quand la sculpture s’envole... “Suspension” au Palais d’Iéna

A lieu exceptionnel, exposition hors du commun : le Palais d’Iéna, siège du Conseil économique, social et environnemental (CESE), accueille “Suspension”, une exposition consacrée à un siècle de sculpture (1918-2018), sous le commissariat de Mathieu Poirier, rassemblant à Paris et à Londres (galerie Olivier Malingue) cinquante œuvres réalisées par trente-trois artistes autour de la sculpture aérienne... Splendide.
silhouette bird animal triangle

 

L’OFFICIEL ART : “Suspension” embrasse un siècle de sculpture abstraite, quels jalons-repères avez-vous fixés pour déployer un récit et procéder aux choix des artistes ? 

MATHIEU POIRIER : La suspension en elle-même étant riche d’implications esthétiques telles que la lévitation, la mobilité, le dialogue avec l’environnement immédiat, mon regard s’est porté sur des courants abstraits qui privilégient la réduction et la tension, tels que le constructivisme d’un Rodtchenko, le minimal art de Robert Morris, le monochrome d’Yves Klein, le cinétisme de Jesús Rafael Soto ou Carlos Cruz-Diez, ou encore le néo-concrétisme d’Hélio Oiticica, par exemple, de la géométrie la plus systématique aux courbes les plus organiques (Ernesto Neto, Leonor Antunes ou Haegue Yang). Toutes ces œuvres génèrent autour d’elles un champ de force invisible, une animation de l’espace qui les environnent. Bien sûr, le tout premier jalon est posé par Marcel Duchamp avec Sculpture for travelling (1918), premier développement abstrait du thème de la suspension zénithale.

Comment les œuvres trouvent-elles place dans l’architecture emblématique du Palais d’Iéna ?

Afin de permettre un dialogue constant entre les œuvres et l’espace, j’ai volontairement réduit le dispositif scénographique à une structure elle-même aérienne composée d’une canopée horizontale située à plus de sept mètres du sol. J’ai notamment voulu mettre en valeur l’escalier d’honneur et en faire un écrin pour la Sphère-trame de François Morellet (1962). L’idée est de faire entrer ces sculptures en ronde-bosse en dialogue avec leur riche environnement architectural et de les plonger dans cet espace percé de gigantesques fenêtres, et livré à de constantes variations lumineuses. Il s’agit de célébrer une sculpture “hors-sol” et, à ce titre, aucun socle ne vient interrompre le déplacement des corps et des regards dans l’espace.

 

Comment cette typologie d’œuvres suspendues – statiques ou mobiles – s’inscrit-elle dans l’histoire de la sculpture et, plus largement, de l’art ?

Elle est ainsi le corollaire, dans le temps et l’espace réels, d’une large part de la peinture abstraite apparue quelques années auparavant, autour de 1912. Comment ne pas penser aux formes flottantes, privées d’ancrage terrestre, et évoluant librement à la surface de la toile chez Kandinsky, Delaunay, Kupka ou Mondrian ?

L’exposition a bénéficié de prêts exceptionnels, issus aussi bien d’institutions que de collectionneurs privés, qu’est-ce qui, selon vous, a suscité cette écoute particulière de leur part ?

C’est peut-être l’originalité du projet : c’est la première fois, à ma connaissance, qu’un livre et une exposition abordent la sculpture abstraite suspendue comme un genre à part entière. Egalement, certains des prêteurs ont vu “Suspension” comme un nouveau chapitre de l’exposition "Dynamo" en 2013 aux Galeries nationales du Grand Palais dont j’étais le commissaire. L’espace du Palais d’Iéna leur a semblé être un lieu singulier, très différent du white cube des galeries ou des musées.

 

À VOIR

Suspension”, en collaboration avec Olivier Malingue, Londres, Palais d’Iéna, du 16 au 28 octobre, entrée libre tous les jours 12h-19h, 9, place d’Iéna, 75016 Paris
Avec des œuvres de
Leonor Antunes, Ruth Asawa, Max Bill, Louise Bourgeois, Daniel Buren, Alexander Calder, Lynn Chadwick, Carlos Cruz-Diez, Marcel Duchamp, Olafur Eliasson, Gego, Antony Gormley, Hans Haacke, Yves Klein, Julio Le Parc, Artur Lescher, Sol LeWitt, Man Ray, Christian Megert, François Morellet, Robert Morris, Bruno Munari, Ernesto Neto, Hélio Oiticica, Alexander Rodtchenko, Tomás Saraceno, Joel Shapiro, Jesús Rafael Soto, Georges Vantongerloo, Xavier Veilhan, Cerith Wyn Evans, Haegue Yang

Galerie Olivier Malingue, du 1er octobre au 15 décembre, lundi-vendredi de 10h à 18h, samedi sur rendez-vous, New Bond Street, First floor, London W1S 2TP.
Avec des œuvres de
Max Bill, Yves Klein, Artur Lescher, Man Ray, François Morellet, Bruno Munari, Alexander Rodtchenko, Tomás Saraceno, Joel Shapiro, Jesús Rafael Soto, Takis, Xavier Veilhan.

“Suspension”, de Matthieu Poirier, Editions Skira (avec le soutien d’Olivier Malingue, Londres), novembre 2018.

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Modélisation 3D d’une vue de l’exposition au Palais d’Iéna © Stéphane Deline/Palais d’Iéna, architecte Auguste Perret, UFSE, SAIF
Ruth Asawa, Sans titre (S.2005, Forme ouverte à cinq pétales) n.d. sculpture suspendue fil de cuivre 29.2 x 45.7 x 45.7 cm © The Estate of Ruth Asawa
Louise Bourgeois, Sans Titre, 2004 Aluminum, pièce suspendue 166.4 x 106.7 x 63.5 cm.
Alexandre Calder, Grand mobile noir, 1954 Métal peint, 65 x 280 cm Musée Zervos, Vézelay Photo: Steve Russell Studios.
Carlos Cruz-Diez, Laberinto de Transcromías [Labyrinthe de Transchromies], 1981 Exposition “Cruz-Diez. Didáctica y dialéctica del color. Intervenciones en la arquitectura. Inducciones cromáticas”, Museo de Arte Contemporáneo Sofía Imber - Sala Cadafe - Sala Ipostel, Caracas, Venezuela, 1981 © Atelier Cruz-Diez Paris / ADAGP Paris, 2018.
Marcel Duchamp, Sculpture de voyage, 1917-18/2018, © Association Marcel Duchamp/ADAGP Paris et DACS, Londres 2018 Photo : Yoann Groslambert.
Yves Klein, Relief planétaire bleu sans titre, (RP 23), 1961 Pigment pur et résine synthétique sur une boule en métal creux, 25 x 22 x 22 cm © Yves Klein/ADAGP Paris, 2018.
Sol LeWitt, Structure suspendue inversée, 1987 Bois, peint en blanc, 375,3 x 73,7 x 73,7 cm © 2018 The LeWitt Estate / Artists Rights Society (ARS), New York Photo: Kerry Ryan McFate.
Christian Megert, Mobile (réédition du mobile créé pour l'exposition « Chremer Luther Megert », Künstlersiedlung Halfmannshof, Gelsenkirchen, 1965) Trois chaînes de trois mirroirs de 90 cm de diamètre, bois, mirroirs, fil © Franziska Megert, VG Bild-Kunst Bonn.
François Morellet Sphères-trames, 1962 Vue de l'exposition « IIIe Biennale de Paris », Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, 1963 © Studio Morellet, Sphères-trames, 1962 Vue de l'exposition « IIIe Biennale de Paris », Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, 1963 © Studio Morellet.
Alexander Rodtchenko, Construction spatiale suspendue no. 9, cercle dans cercle, de la série Surfaces reflétant la lumière, 1920-21 Contreplaqué, dimensions variables © Archives A. Rodchenko & V. Stepanova.
Tomás Saraceno, M102/W+W, 2014 Bois, corde de polyester, ligne de pêche, fil d’acier 50 x 94 x 60 cm © Tomás Saraceno.
Joel Shapiro, Flush, 2016, Bois et caséine 137.2 x 91.4 x 74.3 cm © 2018 Joel Shapiro/Artists Rights Society (ARS), New York.
Jesús Rafael Soto, Sans titre, c. 1968 Peinture sur métal et bois 150 x 50 x 50 cm Photo: Collection privée © Jesús-Rafael Soto / ADAGP Paris, 2018.

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