Pourquoi il faut aller à la Fondation Thalie
Etablie dans une belle demeure des années 1920, entièrement repensée par le duo d’architectes Vanden Eeckhoudt-Creyf, la Fondation Thalie propose un calendrier semestriel d’expositions ainsi que des débats, soirées-performances, concerts de qualité. Jusqu’au 15 juin, les cimaises et les espaces ont été confiés aux artistes Karine Rougier et Alessandro Roma. A l’issue de sa résidence en mars dernier, Rougier présente des peintures sur bois et un large choix d’objets, d’œuvres, de livres et autres sources d’inspiration, dans une vaste et lumineuse salle reproduisant son atelier marseillais. Composées en résonance avec le thème de la Renaissance, en cette année d’hommage au 500e anniversaire de la mort, en France, de Léonard de Vinci, ces œuvres sont imprégnées du geste miniaturiste, quand les grandes céramiques végétales d'Alessandro Roma convoquent la virtuosité du mouvement de l'artisan et l'intensité poétique de l'artiste, incarnées également par des livres de collages réalisés à la main et une peinture murale. Au gré de la circulation entre la grande salle d’exposition, la project room, la bibliothèque, puis la boutique de la Fondation rassemblant un choix très étudié d’objets, le visiteur est en prise avec l'univers de collectionneur qu'est Nathalie Guiot, de même qu'il goûte une architecture et un cadre pensés pour mettre en relief une esthétique raffinée mais soucieuse de sobriété. Un véritable lieu d'art, d’échange, de vie. Rencontre avec Nathalie Guiot, Karine Rougier et Alessandro Roma.
Sur le projet de la Fondation Thalie.
NATHALIE GUIOT : Mon ambition est de pouvoir faciliter la visibilité des artistes, et ainsi leur donner accès à un marché qui leur permettra de continuer à travailler dans de bonnes conditions. Ma programmation convoque donc des artistes émergents ainsi que quelques artistes “historiques”. La fondation ne rassemble pas uniquement des projets intramuros, elle développe également des événements hors les murs, de nature plus sociétale. Ainsi, L'Artiste et l'Europe, aborde la question de la responsabilité de l'artiste et sa voix dans ce qui nous entoure. Face à la montée des extrêmes et au repli sur soi auxquels nous assistons, quel est l'apport de la vision et de la poésie de l'artiste ? Quelles perpectives ? Comment peut-il nous “sauver” ? Je travaille sur le sujet avec la Fondation Evens, basée à Anvers, qui dispose d'une antenne à Paris. En outre, dans le cadre de Veduta, à la Biennale de Lyon (18 septembre 2019-5 janvier 2020), Jean de Loisy qui connaissait mon souhait de m'impliquer différemment, m'a proposé de présenter un artiste et de construire un projet avec des communautés de la région lyonnaise. J'ai évoqué ce sujet à Lionel Estève, qui a réalisé plusieurs œuvres pour la Fondation, il a été enthousiasmé et travaille donc avec un groupe de femmes et d'enfants sur la réalisation de marionnettes pour un spectacle qui sera montré à la Biennale de Lyon. C’est une approche qui associe à la fois l’accès pour ces personnes à un terrain dont elles ne sont pas coutumières, l'art contemporain et la Biennale de Lyon ; et permet au public de l’art contemporain de connaître la réalité de ces communautés fragilisées. Parallèlement à ces projets hors sol, nous menons une programmation un peu à la manière d'un centre d'art. Nous aimons multiplier les approches et les points de vue avec la philosophie, la littérature, les arts visuels, la musique classique dans le cadre des tables rondes et concerts que nous organisons, et qui rassemblent des publics différents.
“J’ai souhaité revenir aux fondamentaux de l'art incarnés par l'acte d'écrire, de sculpter, d’explorer les sources littéraires, idéologiques, historiques, et de montrer des réalisations manuelles, allant à rebours d'une dématérialisation, à rebours de choses trop conceptuelles, trop sèches... Où parfois on ne sait plus très bien où se situe l'œuvre...” NG
Sur la nature de l’exposition.
NATHALIE GUIOT : Ce qui m’intéresse dans ce projet est de pouvoir inviter un artiste à reconstituer son atelier. Le lieu, sa luminosité s’y prêtent parfaitement : nous sommes ici dans l’ancien espace de travail d’un sculpteur. J’ai découvert l’atelier de Karine Rougier lors de visites proposées dans le cadre du salon Artorama, à Marseille. Mon propos a donc consisté à demander à l’artiste de rassembler un choix d’œuvres et ses sources d'inspiration de toutes sortes, dont des livres, que nous avons acquis et qui rejoindront ensuite la bibliothèque de la Fondation mise à disposition des visiteurs. L’œuvre peint de Karine Rougier trace un parcours subtil des traditions vernaculaires à l'art populaire, l'art brut, mais intègre également une iconographie ancienne. Ce format d’exposition m'a paru dynamique, le visiteur peut ainsi passer de l’observation des œuvres à celle du mur-moodboard de l'artiste, puis s'installer pour un moment de lecture des livres, revues et magazines qui nourrissent son travail. J’ai souhaité ainsi revenir aux fondamentaux de l'art incarnés par l'acte d'écrire, de sculpter, à la manière des céramistes – d’où le choix d’Alessandro Roma –, d’explorer les sources littéraires, idéologiques, historiques, et de montrer des réalisations manuelles, allant à rebours d'une dématérialisation, à rebours de choses trop conceptuelles, trop sèches... Où parfois on ne sait plus très bien où se situe l'œuvre. “En même temps, elle sentit la matière du ciel” est un retour à la physicalité du geste.
KARINE ROUGIER : C'est la première fois que je montre les sources de mon travail dans une exposition, elles voisinent avec quatre œuvres, parmi l'ensemble accroché, issues de ma résidence à la Fondation en mars dernier. Ce sont des femmes, magiciennes et sorcières, que j'ai voulu connecter avec la terre et le céleste. J’ai souhaité exprimer à la fois la simplicité et la complexité de personnages inscrits dans des rituels, dans la fluidité du rapport humain. En contrepoint, j’ai rassemblé sur le mur d'angle une foule de petits objets provenant de mon atelier, je l'ai composé à la manière d'une installation qui démontre la fascination que j'éprouve pour les yeux, mais aussi les masques et le travestissement... Ainsi d’un masque mexicain à la fois homme doté d'une moustache et femme, masque de Zorro... Mais aussi les dés, le jaguar, une florilège de petites têtes que j'ai sculptées dans du bois de tilleul... autant d'éléments que l'on retrouve dans mes dessins et mes peintures. Au plan technique j'aime travailler l'huile sur bois qui, pour moi, est aussi aisée à manipuler que la feuille de papier.
ALESSANDRO ROMA : L'idée de ce projet est de montrer que les céramiques viennent d'un certain environnement, via les dessins, les collages rassemblés dans les livres : je considère que je suis un peintre, j'utilise la céramique comme une toile. J'aime beaucoup manipuler ces différents matériaux : travailler la surface et créer des formes. Ainsi, dans une pièce lumineuse sont réunis mes livres de collages et dessins, ainsi que des livres qui évoquent mes sources d'inspiration. Pour composer mes collages, je collectionne un grand nombre d'images puis je les découpe pour faire naître de nouvelles images. Dans la pièce suivante sont rassemblées des sculptures de céramique posées sur des socles qui sont partie intégrante de la sculpture. Pour ce faire, j'ai simplement dessiné sur ces socles, dans le prolongement du trait de certains mouvements de la sculpture. J'ai étendu le geste sur les murs, que j'ai abordés comme une toile. Cette peinture murale crée ainsi le lien avec les sculptures, si bien que suivant le lieu d’où on les regarde, les céramiques offrent plusieurs manières d'être vues, invitant également au toucher.
Fondation Thalie
“En même temps, elle sentit la matière du ciel”, Karine Rougier et Alessandro Roma, jusqu'au 15 juin. 15, rue Buchholtz, 1050 Bruxelles, ouvert du mercredi au samedi, de 14h à 18h et sur rendez-vous.
La Fondation Thalie soutient Lionel Estève pour sa participation au programme Veduta de la Biennale d'art contemporain de Lyon, résidence nomade de mars à décembre 2019 ; événements itinérants du 18 septembre 2019 au 5 janvier 2020.