Tous MAD de Gio Ponti
Un grand lyrique adepte de l’aphorisme, certes, mais pas de ceux que la réalité rebute. Gio Ponti, rappelons-le, est un vétéran de la Première Guerre mondiale, auquel il est confronté à l’âge de 23 ans. Il en revient auréolé du grade de capitaine. Et chargé de l’émerveillement que produisent sur son jeune esprit cultivé les façades classiques des villas essaimées en Vénétie par Palladio. L’architecte de la Renaissance italienne sera l’une de ses figures tutélaires. Si la guerre freine quelque peu la carrière de Ponti, il n’en demeure pas moins qu’après une solide formation à l’école polytechnique de Milan, il ouvre dès 1921 son cabinet d’architecture avant d’accéder, deux ans plus tard, à la direction artistique de la maison de porcelaine Richard Ginori. La veine néo-classique imprègne ses premières années, dont l’esthétique est primée lors de l’Exposition internationale des Arts décoratifs de Paris en 1925. A ses yeux, pas de hiatus entre production artisanale et production industrielle : il impose rapidement des processus de contrôle qualité rigoureux. “L’industrie est le mode de création du xxe siècle”, écrit-il. Un postulat comme une définition du design italien d’après-guerre.
Issu d’une famille de la classe moyenne dans une Italie du nord fortement marquée par l’establishment, Ponti voit son statut social, donc sa stature financière, transfiguré par son mariage avec Giulia Vimercati, issue d’une des plus importantes familles milanaises. Cette union fait office d’accélérateur de commandes, honorées sans difficulté de calendrier. Ponti se définit aussi par un dévouement sans partage à son travail. Son rythme ? Cinq heures de sommeil par nuit. Une existence quelque peu atypique pour son épouse et leurs quatre enfants. “Il appréciait d’être environné par sa famille mais n’y prêtait guère attention, totalement concentré sur sa tâche. Nous vivions dans son propre paysage mais il était absent du nôtre”, indique sa fille, Lisa Licitra Ponti. Capitaine dans sa brève vie militaire, Ponti le fut aussi au civil, façon capitaine d’industrie créatrice, au service de sa nation. Et porté par une vision qu’il délivrera – rayon design – auprès de cent-vingt sociétés, et dans le domaine de l’architecture à travers treize pays, dont le Vénézuela, où il dessine la Villa Planchart (Caracas, 1956), l’Iran avec la Villa Namazee (Téhéran, 1960), les États-Unis pour le musée d’art de Denver (1974). Sa maîtrise de l’histoire de l’art, des techniques et des styles lui permet de mettre au point une harmonieuse signature mêlant de façon inédite mondes ancien et moderne. Dès 1925, il mettait en application cette patte dans ses “domuses” de Milan : façade traditionnelle mais intérieurs répondant à ses idées radicales en termes d’art de vivre : mobilier modulaire et espaces évolutifs.
Ponti est adepte d’un design “beau” mais toujours fonctionnel. Sa formation d’architecte l’incite aux expérimentations de matériaux. Ainsi de l’aluminium dont il fait usage dans le Palazzo Montecatini (1936). La mise en pratique de sa pensée s’accompagne d’une volonté de contribuer à l’histoire des idées et du style : Domus, la revue référence qu’il fonde en 1928 et qu’il éditera jusqu’à sa mort, en est un vecteur imparable. Il en constitue les sommaires et y rédige systématiquement un sujet. Innovation, modernité et souci décoratif y sont explorés au fil des numéros, dans lesquels il donne généreusement la parole aux jeunes générations de créateurs. Dont Piero Fornasetti, avec lequel il collaborera sur le projet du Casino de San Remo. Mais également Alessandro Mendini, futur fondateur du groupe Alchimia, ou Ettore Sottsass, créateur du groupe Memphis. Il considère sa mission comme un tout : designer, architecte, éditeur, auteur d’essais et enseignant. Déroulant aisément le fil de son imagination du quasi micro au macro. Sa machine à expressos La Cornuta pour La Pavoni (1948), tout en rondeurs métalliques, sera exportée partout dans le monde ; sa tour Pirelli (Milan, 1956), et ses cent-vingt-quatre mètres de hauteur en pure élévation ; sa chaise best-seller, la Superleggera (1957), réalisée pour Cassina symbolisent le renouveau économique d’après-guerre, en amorce de dolce vita. Et s’inscrivent dans les formes neuves du xxe siècle.
“Tutto Ponti, Gio Ponti archi-designer”, scénographie par Wilmotte & Associés, du 19 octobre 2018 au 5 mai 2019, au musée des Arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, 75001 Paris.