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Nicolas Di Felice : "je suis un créateur avec des préoccupations sociales et sociétales"

Après douze ans passés aux côtés de Nicolas Ghesquière, le designer Nicolas Di Felice, nommé directeur artistique de Courrèges en septembre dernier, fait revivre la célèbre maison de la rue François-Ier. 

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Photographie Jules Faure 

LOFFICIEL: Vous êtes né dans cette ville post-industrielle belge, Charleroi. Son architecture vous a-t-elle influencé dans la construction de vos vêtementsNICOLAS DI FELICE: Ce n’est pas l’architecture de Charleroi qui m’inspire, mais plutôt son côté un peu dur, noir, mais également populaire et très vivant. Si j’aime cette ville, c’est pour ses contrastes. Et ce qui m’inspire dans mon travail, c’est justement ce contraste entre Charleroi et Paris. Je pense que lors qu’ondé conceptualise une chose, on la rend souvent plus forte. Si je devais garder une image de mon enfance, ce serait ces trajets en voiture où l’on passait d’un champ à perte de vue à un club dans un hangar, ou à une maison close dont la façade s’illuminait d’une silhouette féminine rose néon. L’eldorado, dans un espritLas Vegas.

L’O: Votre intérêt pour la mode est-il né avec MTV? NDF: Là d’où je viens, nous n’avions pas accès aux magazines de mode. On parlait très peu de défilés, ils ne passaient même pas à la télé. Et dans les rues, il n’y avait aucun panneau publicitaire. C’est donc à travers les clips de la chaîne MTV, entre les années 80 et 2000, que mon intérêt pour la mode est né. Cela m’a permis de comprendre qu’on peut se créer un personnage et un univers propres.

L’O: La Belgique est un berceau de l’électro, n’avez-vous jamais eu envie de vous lancer dans la musique? NDF: J’ai toujours adoré la musique. J’ai commencé le solfège à 6 ans. Et je me suis même rêvé chanteur. La Belgique était le temple de la New Beat, qu’elle a inventée. À cette époque, on portait tous des badges Smiley, on écoutait des groupes comme Confetti’s et on allait en club comme Le Palladium, La Bucheou le Who’s Who’s Land. Ce qui est très étonnant, c’est que la New Beat était une musique à la fois très pointue et très ancré dans la culture belge. Elle passait aux heures de grande écoute à la télé, elle était devenue mainstream. Mais je ne me suis ja maissérieusement lancé dans cette voie. À 17 ans, quand on m’ademandé de faire un choix, j’ai opté pour la mode, un rêve unpeu fou, et j’ai intégré l’école de La Cambre à Bruxelles

L'O: Parlez-nous de vos années Balenciaga... NDF: Avec Nicolas Ghesquière, j’ai appris la précision. Même si j’étais déjà quelqu’un de très précis, que j’avais un grand respect de la matière, que j’adorais coudre et que j’étais bon en technique, chez Balenciaga, c’était un niveau au-dessus. Chaque styliste avait peu de pièces à réaliser, mais chacune était plus qu’aboutie, elle était parfaite. La façon et la réalisation étaient d’un net... J’ai donc appris à être précis non seulement dans ma manière de travailler, mais aussi dans mes exigences,dans ce que j’attends des gens aec les quels je travaille. Avant de faire de l’image, je suis d’abord un technicien. Je fais des vêtements, et j’en suis fier.

L'O: Et avec Raf Simons...NDF: :C’était un passage relativement court. Lorsque Natacha(Ramsay-Levi, ndlr) et Nicolas (qui n’étaient alors plus chez Balenciaga mais Louis Vuitton) m’ont rappelé, je les ai rejoints rapidement. De chez Dior, je garde un super souvenir de Raf, quand il était là. C’est quelqu’un de romantique et passionné que je trouve inspirant. Après, très concrètement, Dior est une école de dessin, ce qui n’est pas du tout mon truc. Lorsque j’étais à La Cambre, on nous demandait de dessiner des pièces de façon pragmatique pas artistique. Chez Dior, j’ai passé une année à dessiner alors que ce que j’aime, c’est faire du vêtement sur le corps, couper, épingler, faire et refaire. Je suis plus 3D que dessin. C’est vrai que  j’avais une petite frustration, mais c’était super de le rencontrer.

L'O: La mode d’André et Coqueline Courrèges était géométrique avec la minijupe en A, avant-gardiste dans ses volumes laissant libre cours à la liberté du corps, et optimiste par ses couleurs. Comment est la vôtre? NDF: Ce que je retiens surtout de leur travail, c’est que leurs vêtements étaient faits pour être portés, cette question était centrale pour André Courrèges. Je me souviens de cette confrontation entre lui et Cardin sur le pantalon et la jupe.J’aime sa préoccupation de faire descendre sa mode dans la rue. Je retiens également cette recherche de l’épure et de la simplicité me parle beaucoup. Quand on reprend une maison, on doit évidemment respecter son héritage, qui est chez Courrèges extrêmement riche, complexe et passionnant. Mais il y a aussi ce moment où c’est soi, sa vision que l’on doit mettre en avant.Je propose des choses simples, à recevoir et à comprendre. Je n’ai aucune prétention intellectuelle, même si je réfléchie.

Nicolas Di Felice, directeur artistique de Courrèges

L'O: Lorsque vous avez été nommé directeur artistique de la maison, l’une des premières choses que vous avez réalisée est une réédition revisitée des pièces les plus fortes dans un vinyle beaucoup plus écores-ponsable. Êtes-vous un créateur engagé? NDF: C’est en effet un nouveau tissu sur une base de jersey100 % coton é coresponsable, et le polyuréthane qui est dessus est à 70  % végétal. Ce n’est pas encore irréprochable, mais ces pièces sont fabriquées pas loin d’ici et dans des matières beaucoup plus écologiques qu’à l’époque. Oui, je suis un créateur avec des préoccupations sociales et sociétales.

L'O: Pourquoi cette première collection de rééditionsNDF:  Je trouve important que ces pièces perdurent. Je les ai proposées dans un design plus ajusté, car cette silhouette petite boîte très géométrique n’est pas forcément un design qui me plaît. 

L'O: Parlez-nous de votre premier défilé dans ce cube blanc construit àLa Station, un centre culturel dans le nord de Paris... NDF: Quand j’ai appris que le défilé ne se ferait pas en présentiel,j’ai dû changer d’idée très rapidement. Moi qui suis toujours en quête de liberté, je me suis senti enfermé et c’est ainsi que 88 l’idée de faire le mur est arrivée. C’est pourquoi, alors que les mannequins effectuaient leur dernier tour de piste, un drone a filmé des gens faisant le mur en escaladant le cube. Quant au lieu, c’est un espace culturel où je vais très régulièrement et dont j’adore les soirées du collectif MU. 

Minirobe en vinyle et cuissardes en coton mélangé et casquette en coton et vinyle, COURRÈGES

L'O: Racontez-nous votre collection automne-hiver 2021-22... NDF: Elle commence par ces pièces “héritage” qui ont donc défilé dans ce cube très pur évoquant les salons Courrèges de l’époque.Le tout premier look est un manteau kimono inspiré par un manteau que porte André Courrèges sur une photo que j’adore,où il pose très fier devant sa boutique. On retrouve également dans cette première partie du défilé l’imprimé double C. Seul un manteau blanc a été reproduit à l’identique. J’ai aussi rendu hommage aux années atelier de la maison dans ses volumes de1960 à 1967. Cette même période où l’on sentait les années du créateur chez Balenciaga, mais aussi l’élaboration de son propre vocabulaire. Puis je me suis lâché sur les autres looks.Il y a tellement de vocabulaire dans cette maison... Je parlais des lignes géométriques, mais il y a aussi des coutures rondes et des matières emblématiques. Au fur et à mesure que le show se déploie, je laisse place à mon univers. Plusieurs silhouettes expriment cela, comme le look avec la jupe et le sur vêtement noir. Vous avez ici très littéralement les deux univers, celui de la maison et le mien. Il y a aussi un côté plus festif dans certaines silhouettes, comme cette robe night-club avec les ajourés très Courrèges de 69 sur le côté que j’ai déclinés sur une robe super simple.

LO:  Votre mode est, dans le sens littéral du terme, une collection deprêt-à-porter : on a envie de la porter tout de suite...NDF: C’est vraiment important pour moi

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