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Où trouver de l'anguille à Paris ?

On connaît les adresses monomaniaques, qui accommodent à toutes les sauces le burger, le croque-monsieur ou la madeleine. Mais il y a mieux : entre Paris et Tokyo, une dynastie de cuisiniers s’est fixé une noble mission : ne cuisiner que l’anguille. Mais que y-a-t’-il vraiment sous la roche ?
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Les cuisiniers à l’œuvre derrière le piano de Nodaïwa depuis 1996 ont le verbe rare (c’est-à-dire qu’ils préféraient ne pas s’exprimer ici). En revanche, quand il s’agit de faire parler l’anguille, ils ont des arguments. 21 ans donc qu’ils en explorent les limites, en dessinent les confins. A Tokyo, la maison-mère se penche sur la question depuis la fin du XIXème siècle – et pour s’assurer qu’aucun secret ne se perde, une même famille, l’honorable dynastie des Kamemoto, est aux commandes depuis cinq générations. En flan, grillé, à la vapeur, dans son plus simple appareil ou laqué, sa chair expressive – carnée, fumée, tendre, acidulée – trouve assez d’incarnations pour que le dîneur y revienne sans se lasser (trop vite.)

L’unagi, incontournable pièce cardinale du menu obsessionnel, pierre angulaire sur laquelle se construit le menu, présente ou interprète le poisson grillé au brasero, alangui sur du riz blanc, après avoir été baigné dans le  tare (sauce soja, mirin, sucre, et d’ingrédients mystère du genre perlimpinpin ou sort de sorcier ; pour les proportions exactes, on repassera, l’équilibre tient du miracle, donc, du secret). Mise au point par le fondateur du restaurant, Noda Iwajiro, elle donne à l’anguille toute sa profondeur, la libère de la monotonie. 

La légende assure que du côté de Tokyo, c’est un seul et même fond, alimenté perpétuellement, comme dans un mythe grec, depuis près de deux siècles qui permet ce bain rituel. La même légende promet qu’il s’en est fallu d’un rien pour que la bassine miraculeuse ne survive pas aux bombardements lors de la Seconde Guerre Mondiale).

Dans le Manyo-shu, précieux recueil de poèmes japonais couvrant quatre siècles (313-759), il est déjà fait mention de la délicate chair de l’anguille, grillée sur le feu. C’est à l’ère Edon, qui s’ouvre en 1603, que la recette prend une tournure plus contemporaine : grillée, toujours, mais arrosée au fil de la cuisson de sauce soja – l’anguille glisse ainsi du côté du caramel, dans un nouvel habit gustatif qui lui sied admirablement. On vous passe en revanche les différentes techniques convoquées pour son étourdissement. 

Doté de beaux atours, mais elle peut aussi se targuer de splendides atouts nutritifs – il semble qu’elle soigne à peu près tout, ou prévient de nombreuses afflictions. Si bien qu’au Japon une journée lui est dédié, le doyo no ushi no hi, entre la seconde et la troisième semaine de juillet, jusqu'à début août. Sa consommation offrirait à ceux qui la dégustent une résistance à la chaleur accrue. Hélas ! Ici, la légende tient de la prouesse commerciale : constatant que la clientèle était moins friande d’anguille quand la canicule empoissait les meilleures volontés, un restaurateur consulta Hiraga Gennai, herboriste, inventeur (1728-1780) pour trouver une parade : celui-lui suggéra d’ajouter l’unagi à l’udon et à l’ume (prune) parmi les aliments favorables à une bonne santé…puisque commençant par « u ». 

Prise dans les filets de l’imagination, de la technique et de la passion, l’anguille avait tout pour hypnotiser des générations de cuisiniers, moins pétrifiés que stimulés par cette Méduse unique. 

 

Nodaiwa Paris-Tokyo :
272, rue Saint-Honoré - 75001 Paris
Tel : 01 42 86 03 42 

 

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