2020, la revanche des poupées sucrées
“La poupée pop, elle te la coupe, y’a plus personne dans ton magnétoscope, c’est plus l’époque mon pote, plus l’époque plus l’époque des poupées pop.” En 2014, avec une chanson intitulée Poupée pop, l’icône 80s Lio réglait ses comptes sur sa période Banana Split. Une époque où la Lolita dansait en micro-jupe sous les stroboscopes. Mais pas facile de signer l’arrêt de mort de la poupée de son... Elle fait preuve d’une incroyable ténacité. Sa force de séduction traverse les générations. D’abord façonnée en 1965 par Serge Gainsbourg et chantée par France Gall à l’Eurovision (“Je suis une poupée de cire, une poupée de son”) puis fantasmée par Polnareff deux ans plus tard (“C’est une poupée qui fait non, non,non”), elle a aujourd’hui élu domicile aux États-Unis dans le pavillon de la pop, indé comme mainstream.
C’est en effet au pays de Barbie que les nouvelles dolls des charts font rêver la Gen Z en fleurs. Il y a la poupée en porcelaine WASP Taylor Swift – ses yeux de chat, sa panoplie de country girl et sa coupe blonde tirée à quatre épingles. Autre vision du rêve américain : la poupée latina Selena Gomez, irrésistible avec ses longs cheveux soyeux bruns, sa moue et son visage poupin qui rappelle l’enfance. Dans les deux cas, la blonde comme la brune chantent leurs peines de cœur dans un romantisme premier degré comme des poupées au cœur brisé dont l’eyeliner reste parfait. Il y a aussi les versions moins sages de la poupée. Les jeunes filles rebelles apprécieront la Barbie goth cyberpunk Grimes, une Mercredi Adams 2.0, et seront fascinées par celles qui tiennent presque du robot comme l’Américaine Poppy devenu un phénomène YouTube avec ses vidéos pastel, ou Lil Miquela, à la fois chanteuse et influenceuse virtuelle née de l’IA. Bref, il y en a pour tous les goûts. Dans les rayons jouets des super- marchés, chacune semble convenir à la personnalité de ses fans. Mais celle qui ressemble le plus à une poupée Mattel reste Ariana Grande : de l’extérieur, c’est l’anti-Billie Eilish. Yeux de biche effarouchée, queue de cheval toujours impeccable digne d’un postiche et microjupe, l’auteure-compositrice-productrice affiche pourtant une personnalité indépendante et forte (elle a survécu à un attentat en plein concert ainsi qu’à la mort de son Ken punk, Mac Miller) sous une apparence des plus cute.
C’est là que réside tout le charme ambigu de la poupée. Elle n’est pas aussi inoffensive qu’on pourrait le croire, cette Poppy qui ressemble à un joli robot blond à la voix douce mais qui questionne sur le vrai et le faux dans un monde dominé par Instagram. Grimes inquiète autant qu’elle séduit avec son esthétique évoquant l’apocalypse. Elle attend même “l’enfant du diable” ou, au choix, “le messie des temps modernes” avec le businessman Elon Musk qui veut nous faire aller sur Mars avec son entreprise SpaceX. Et Selena Gomez n’a pas besoin d’un Ken (Justin Bieber, marié à la parfaite Hailey Baldwin) pour exister. En promo, elle arbore des petites robes roses Miu Miu mais sur son nouvel album Rare, elle sort ses griffes et se venge de son ex en chansons à travers des paroles sans fard.
Se déguiser en mannequin à la plastique de rêve ne ferait donc que renforcer, par contraste, le propos d’une nouvelle génération bien plus subversive et fémi- niste qu’il n’y paraît. On adopte une apparence trompeuse pour mieux surprendre l’auditeur. C’est aussi le cas des amazones hypersexuées Beyoncé, Nicki Minaj, les Pussycat Dolls, Katy Perry, Cardi B et J-Lo qui ont toutes à un moment donné de leur carrière joué sur l’image de la poupée. Nicki Minaj a intitulé un de ces morceaux Barbie Dreams sur son album Queen (2018) mais dans les paroles, elle explique qu’elle veut coucher avec le plus de rappeurs possibles. La poupée qui twerke en profite aussi pour tacler ouvertement Drake et Eminem. Beyoncé (qui a eu droit à une Barbie tout de rose vêtue à son effigie période Destiny’s Child) a, quant à elle, poussé le vice jusqu’à se déguiser pour Halloween (en 2016) en poupée Mattel avec emballage en carton fourni. Le message ? Même quand elles s’habillent en rose fuchsia façon Paris Hilton époque The Simple Life, jamais les filles de l’ère post #metoo ne laisseront quiconque jouer avec elles comme avec des marionnettes. Ce que résume le tube d’Ava Max (qui affiche tous les attributs de la poupée platine) sorti en 2018 : Not Your Barbie Girl. Une réponse cinglante au tube d’Aqua culte des 90s, Barbie Girl : “Not your Barbie girl, I’m livin’ in my own world/I ain’t plastic, call me classic / You can’t touch me there, you can’t touch my body / Unless I say so, ain’t your Barbie.” Et tous les Ken macho d’aller se rhabiller.