Comment Sailor Moon a ouvert la voie aux héroïnes manga
Il y a parfois quelque chose de magique derrière un dessin animé... qui finit par marquer toute une génération. Voyez les têtes blondes biberonnées au Club Dorothée, aux animés japonais et à la trilogie du samedi soir. Il semblerait que certaines histoires qui, sur le papier, n’ont l’air de rien, aient laissé des traces indélébiles. Certains personnages sont même devenus des symboles. Exemple parfait : Sailor Moon, une fille pas comme les autres (on ne remerciera jamais assez Bernard Minet pour les génériques made in France du Club Do), qui s’est installée, pour toujours, dans les esprits et dans les cœurs. Décryptage d’une Magical Girl.
Bishojo Senshi Sera Mun, ou Sailor Moon pour les intimes, est un animé apparu sur les écrans français en 1993, en plein climat anti-animation japonaise. Mais, on le sait, ce que les vieux détestent, les enfants adorent... et c’est ce qui a sûrement poussé le jeune public à s’accrocher aux animés nippons si fermement fustigés. Sailor Moon s’inscrit dans la lignée des mangas dits ‘’de filles’’ – en opposition aux shonen, réservés aux garçons. Si l’on veut être précis, Miss Moon est une Magical Girl, un genre d’animé formaté dans un univers kawaï, où de mignonnes petites filles ne font pas grand-chose à part chanter et tomber amoureuses – Creamy merveilleuse Creamy (1983) illustre parfaitement le genre. Mais, le public l’ignore encore, l’histoire du mangaka Naoko Takeuchi va complètement bousculer les codes. Son dessin animé va marquer une véritable étape dans le genre avec son personnage qui ouvre de nouvelles perspectives : des combats avec des supervilains et des quêtes en tous genres viennent remplacer les non-intrigues classiques. C’est en s’inspirant du genre shonen que Takeuchi va poser les bases de ce qui sera le premier girl power animé – She-Ra avait bien essayé de s’imposer à la fin des 80s, mais l’histoire et le public retiendront Sailor Moon.
Une fois les bases posées, Takeuchi va créer tout un univers autour de Bunny Rivière, le véritable nom du personnage principal du dessin animé (Usagi Tsukino en version originale). Au menu : une mythologie, une confrérie de guerrières, des ennemis, un prince à sauver et une quête. Des éléments qui rappellent étrangement la légende arthurienne, mais vue sous un prisme japonais et féminin. Est-ce ce qui a séduit toute une génération ? Il y a des chances. Pour la première fois, la télévision proposait un programme pour petites filles qui ne tourne pas autour d’une intrigue simpliste et sans rebondissements. À ce jour, Sailor Moon reste le Magical Girl le plus long de l’histoire, avec près de 200 épisodes sur la première vague de production auxquels s’ajoutent de multiples adaptations et développements : comédies musicales, reboots télévisés, jeux vidéo, produits dérivés... Pas étonnant que le public ait du mal à oublier cette fille pleine de courage qui sauve le cosmos. Ce ne sont pas des barrières, mais des pans de murs entiers que l’animé a enfoncé. Parmi eux, l’évocation plus ou moins subtile de l’homosexualité – qui ne survivra que partiellement à la censure française –, l’inversion des rôles entre la princesse et le prince charmant – c’est bien Bunny qui sauve l’homme masqué et non l’inverse –, et l’idée qu’une jeune fille n’a pas besoin d’avoir des notes exemplaires à l’école pour sauver l’univers. Et la liste n’est pas exhaustive.
Certains évoquent souvent, et à juste titre, Buffy contre les vampires (1997) comme la toute première adaptation pro girl-power / LGBTQ friendly. Mais avant Buffy, il y a eu Bunny, qui a sûrement ouvert la voie à des idées nouvelles, brisant une idée préconçue de la féminité et préparant cette génération à de grands chamboulements. La suite de l’histoire, nous sommes en train de la vivre. En 2014, à l’occasion des 20 ans de la franchise, une nouvelle version voit le jour : Sailor Moon Crystal, dont l’histoire se situe dans la continuité de l’intrigue originale. Le dessin animé sera adapté en long-métrage, et sa sortie est prévue pour septembre 2020. Mais avant ça, Bunny Rivière devra tenir son rôle d’ambassadrice aux J.O. de Tokyo aux côtés des personnages masculins Son Goku et Naruto. Et c’est peut-être ce rôle-là, la vraie preuve du power de Sailor Moon.