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Adrian Cheng : "Je me vois comme un programmateur de vie, de créativité, d’innovation"

Lentrepreneur, philanthrope et innovateur social réécrit le mode d’emploi du business au XXIe siècle.

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PHOTOGRAPHIE Alan Gelati
ART DIRECTION Giampietro Baudo
STYLISME Vanessa Bellugeon

Dans un monde soumis à la vision à grande échelle du business, la vie d’un cadre dirigeant peut paraître bien éloignée de celle du consommateur moyen. Mais l’entrepreneur de la Région administrative spéciale [RAS] de Hong Kong Adrian Cheng veut faire bouger les choses. Son business modèle innovant reposant sur des “valeurs communes” investit dans les communautés pour favoriser un environnement profitable tant à sa compagnie qu’à ses clients. En s’intéressant à un éventail de domaines comme la santé mentale des jeunes ou l’accès à l’art et aux programmes culturels, il cultive une façon de gagner de l’argent qui bénéficie à tout un chacun.

Adrian Cheng est le PDG et la troisième génération aux commandes de New World Development Company Limited, propriétaire de Rosewood Hong Kong, et fondateur de K11 Group. Cet entrepreneur qui officie à la pointe de l’art et du commerce est issu d’une des familles d’industriels les plus influentes d’Asie, forte d’une présence de plus de soixante-quinze ans à Hong Kong. Sous sa direction, New World Development a ouvert Victoria Dockside, un quartier culturel de 28 hectares qui a coûté 2,6 milliards de dollars, sur l’iconique promenade Tsim Sha Tsui, sur le front de mer de Hong Kong. Ce mécène a figuré chaque année entre 2014 et 2022 dans le classement d’ArtReview des 100 personnes les plus influentes du monde de l’art, en première position pour l’Asie et en 12e place dans le palmarès mondial. En 2017, il est le plus jeune ressortissant de Hong Kong à être fait officier de l’ordre des Arts et des Lettres par l’État français; distinction suivie d’un grade d’officier de l’ordre national du Mérite en 2022. En 2023, il est nommé président du comité des Mega Arts and Cultural Events par le gouvernement de la RAS de Hong Kong. Dans cet entretien avec le président mondial de L’OFFICIEL, le Dr Calvin Choi, Adrian Cheng explique comment sa vision de la philanthropie et de l’entrepreneuriat peut avoir un effet sur la communauté de Hong Kong et au-delà.

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Les plus gros changements à venir concerneront la façon d’envisager l’innovation sociale et les impacts sociaux.

DR CALVIN CHOI : Quels sont vos inspirations, vos idées et projets pour les années à venir ?
ADRIAN CHENG : Je pense que les plus gros changements à venir concerneront la façon d’envisager l’innovation sociale et les impacts sociaux. Après le Covid, nous avons pris conscience de notre fragilité et de notre condition d’êtres humains. J’ai donc créé une fondation consacrée à la santé mentale des enfants, une cause en laquelle je crois beaucoup, notamment en ces temps de pandémie où les plus jeunes ont eu de nombreuses occasions d’être soumis au stress. Avec l’initiative WEMP – Wellbeing, EQ, Mental health, Parenting [bien-être, quotient émotionnel, santé mentale, éducation des enfants] –, nous commençons par la RAS de Hong Kong et espérons essaimer en Asie puis dans le monde entier. Ma vision, mon espoir est que cette action humanitaire s’étende à l’échelle du globe. Nous travaillons à réduire le stress des enfants de 3 à 16 ans. Nous intervenons auprès d’écoles, ainsi que des parents, pour les sensibiliser à l’importance de la santé mentale des jeunes. Nous avons des programmes visant à la sensibilisation du public. Nous sommes venus en aide à environ 10 000 enfants, 20 000 parents, pour nous assurer de leur bonne santé, et avons fait face à 83 situations d’urgence – des enfants ayant vécu des situations traumatiques ou ayant été maltraités.

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CC : Vous êtes un innovateur et un businessman, un philanthrope influent et un éminent collectionneur d’art. Laquelle de ces identités vous correspond le mieux ?
AC : Je me vois comme un programmateur de vie, de créativité, d’innovation. Nous nous voulons “curateurs” de tout ce qui concerne les gens, des choses créatives, de tout ce que je peux imaginer. Je suis aussi un chef d’orchestre – qui dirige beaucoup de personnes pour penser de manière créative, tant dans le monde des affaires que dans leur vie quotidienne. Parce que je ne me vois pas comme un créateur. Je crois que je réunis un grand nombre d’éléments pour donner naissance à un produit, mais je ne l’invente pas. Je puise ces éléments dans la vie, l’humanité, les gens, pour les réunir dans quelque chose qui aura une certaine magie.

CC : Votre famille a une longue histoire de succès commerciaux dans la RAS de Hong Kong et à l’international. Comment avez-vous combiné ce contexte avec votre passion pour l’art, la culture et la mode ?
AC : Il y a une idée de valeurs communes. Dans les affaires, on satisfait les besoins de ses clients, on est à leur service. Le client est roi. Ces temps-ci, le cœur de notre public recherche quelque chose d’unique et de spécial qui soit à la fois à leur service et à celui de leur communauté. Construire cette dernière à travers l’art, le design, la créativité et l’imagination fait partie de leurs valeurs. Quand on conjugue ces choses, ou qu’on en dégage un dénominateur commun, c’est très puissant.

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CC : Pensez-vous que l ’art, la mode et le design sont liés ?
AC : Les trois sont des créations humaines. L’art, la mode et les autres moyens d’expression ont des histoires distinctes et des valeurs fondamentales différentes, mais des croisements sont possibles. Les méthodes de storytelling diffèrent un peu selon les domaines, et le côté business est lui aussi différent, mais tous relèvent de la créativité et des sensations, de ce qu’on incarne, de ce en quoi on croit. C’est un message que l’on veut crier à la face du monde. Ce qui fait que tout peut se croiser, et que l’on voit toutes sortes d’expositions mêlant l’art, la mode et d’autres champs du design.

CC : Comment voyez-vous cette relation entre art et mode évoluer dans la RAS de Hong Kong, et quelle forme voulez-vous lui donner pour la RAS de Hong Kong et au-delà ?
AC : L’art et la mode s’entremêlent. Nous croyons que les masses doivent avoir accès à l’art, à la mode, à la créativité. Alors comment décentraliser, démocratiser ces espaces de création pour les ouvrir à tous, qu’ils ne se cantonnent pas aux musées ou aux riches galeries d’art? Il faut qu’on puisse admirer des œuvres chaque jour, même lorsqu’on marche dans la rue pour s’acheter un café, il faut apprécier tout ce qui nous entoure. La créativité étant à l’origine de la vie, tout doit être fait pour le plus grand nombre. Ça doit concerner tout le monde. Alors j’espère qu’on parviendra à faciliter l’accès à ces espaces.

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CC : Vous êtes très engagé dans une manière contemporaine de promouvoir l’art et l’héritage culturel. Quelle a été votre motivation à devenir un tel porte-parole, et comment avez-vous contribué au développement de l’art dans la RAS de Hong Kong et au-delà?
AC : Qu’il s’agisse de business ou tout simplement d’exister en tant qu’être humain, vous avez besoin de maintenir un ensemble de valeurs – qui vous êtes, en quoi vous croyez. C’est au cœur de la vie. Le patrimoine est aussi à l’image du système de valeurs d’une ville. Alors quand on le préserve, ce sont les racines que l’on conserve. C’est pourquoi il a une grande importance, particulièrement en Asie, où nous avons besoin de promouvoir et d’étendre ces systèmes de valeurs.

CC : Vous avez déclaré vouloir faire du business une force au service du bien, et vous vous engagez à promouvoir un modèle d’affaires durable et socialement responsable. Comment équilibrez-vous vos intérêts financiers et votre désir d’avoir un impact social positif? Et quels sont les déf is auxquels vous faites face dans cette démarche ?
AC : Je crois que quand vous faites des affaires, vous avez aussi le devoir de faire le bien, de partager la richesse et de créer de la valeur pour la société dans son ensemble. Il ne s’agit pas que de donner de l’argent aux bonnes œuvres. Le plus important, c’est de tirer parti de ses ressources, de les partager tout en créant de la valeur – peut-être de l’entrepreneuriat ou de l’entrepreneuriat social – pour les gens. On appelle ça la responsabilité sociétale des entreprises [RSE]. Ce n’est pas une responsabilité; il est davantage question de partager sa valeur, sa vision et ses ressources et d’en faire profiter la société parce que votre entreprise est au cœur de cette société. Ça vous permet d’incuber, d’ai- der d’autres entrepreneurs sociaux, et eux aussi peuvent œuvrer pour le bien. De nombreux fonds à impact social ou visant à soutenir l’entrepreneuriat social financent ces initiatives tout en faisant du profit. Ces profits peuvent être réinvestis. Cet effet de multiplication entraîne un cercle vertueux et porte ses fruits.

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Quand vous faites des affaires, vous avez aussi le devoir de faire le bien, de partager la richesse et de créer de la valeur pour la société dans son ensemble.

CC : Quels sont les obstacles à ce type d’approche?
AC : Parfois c’est très compliqué parce que certains ne pensent qu’à leurs bénéfices ; d’autres s’imaginent que la création de richesse partagée et la mise en commun des ressources est un gadget. C’est faux. Il y a une façon de partager qui ne sacrifie pas le profit mais au contraire met en branle un plus grand système de création de valeur qui peut emporter l’adhésion des investisseurs, tout en venant en aide aux populations. Le plus grand défi, c’est de rencontrer les partenaires qui comprennent votre nouveau modèle.

CC : Quels sont vos projets pour l’avenir?
AC : Mon équipe et moi avons mis dix ans à développer un nouveau quartier artistique et culturel, le Victoria Dockside, dans la RAS de Hong Kong. Une sorte de Silicon Valley de la culture et de la création, où nous avons implanté un incubateur pour 100 puissances créatives qui ont pris part au projet. J’espère que ce modèle pourra être reproduit en divers endroits du monde, particulièrement en Asie. Je crois qu’après le Covid, un état d’esprit pur, enfantin, simple, doit prévaloir, parce que la vie est déjà assez compliquée comme ça. La société est très compliquée. Après le Covid, nous avons tout simplement besoin de cœur.

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COIFFURE ET MAQUILLAGE Mathilde Hamon
ASSISTANT PHOTO Octave Pineau
OPÉRATEUR DIGITAL Éric Sakai
ASSISTANTE STYLISME Eva Chatton

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